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site de Roland Goeller
7 janvier 2010

Bavardage et Conversation

 

J’étais parvenu en haut du belvédère, je ne me rappelle plus lequel, mais qu’importe, je me suis exclamé : « la vue est vraiment magnifique », sans aviser si quelqu’un pouvait ou non m’entendre. Or, précisément, la personne qui m’entendit répliqua presque sur le champ : « oh, cela me rappelle Santorin ! ». Elle se tenait un peu en retrait, de sorte que je ne la vis pas lorsque j’arrivai. Elle était de sexe féminin, d’un âge respectable sans être vénérable et portait, comme on dit, bon pied bon œil. Qu’elle évoquât Santorin en comparaison de la vue relativement modeste offerte par le belvédère ne me gênait en aucune manière. Mais que, face à mon enthousiasme relativement tiède, elle me tienne la jambe pendant tout le temps que dura la redescente me fut à proprement parler un supplice.

Supplice que je ne réussis à abréger qu’en échange de mes coordonnées, que la charmante dame réclama en gage de l’amitié que lui avait inspirée cette non moins charmante conversation …

Pour ma part, je n’avais pas réussi à en placer une. Non pas, à la vérité, que les propos de ma nouvelle et envahissante amie fussent dénués d’intérêt. Bien au contraire. Le fait est que je n’avais nulle envie de parler. Mais ma nouvelle amie ignora délibérément ce fait. A ses yeux la conversation n’avait nul besoin de tous ces petits signes et connivences par lesquels l’interlocuteur manifeste son intérêt et sa présence. Etait-ce du reste seulement une conversation ?

Mon amie avait à dire un certain nombre de choses sur Santorin, dans un ordre et un enchaînement connus d’elle seule, et dont elle entendait se réserver l’exclusif contrôle. Elle se jouait, pour elle seule, sa petite musique avec l’alibi d’une oreille captive chargée de donner épisodiquement un signe de vie, ou d’agacement. Cela lui suffisait. Quant à moi, je voulus à deux ou trois reprises intervenir, présenter telle ou telle objection, faire état par exemple de ce sentiment de vastitude diffuse que donnent les grandes plaines du nord.

Je n’en eus pas le loisir. Dans la conversation de ma nouvelle amie, il n’y avait pas de place pour une autre parole, priée de s’abstenir. La conversation de ma nouvelle amie ne prévoyait pas ces mille détours qui résultent de points de vue suffisamment convergents pour entrer en empathie, suffisamment divergents pour créer un échange, un débat voire une joute, selon l’angle de la divergence. Il est vrai aussi que je n’avais pas éprouvé pour ma nouvelle amie cette sympathie naturelle et immédiate qui prélude à de grands échanges fructueux. Ne me demandez pas pourquoi, c’est ainsi. Une conversation féconde suppose à la fois une empathie de points de vue, de regards et de langage, mais aussi une sympathie des personnes, un ensemble de connivences qui rien ne force et ne contraint. Les mêmes sujets de conversation tournent court avec certains et s’envolent avec d’autres. La différence tient dans la sympathie des personnes qui savent, d’emblée et d’instinct, qu’elles ont un socle commun de valeurs, d’idiomes, de grammaires, d’élégances et de mesures. Ne me demandez pas pourquoi, c’est ainsi.

Aussi je me demande si la conversation de ma nouvelle amie ne se réduisait pas simplement à un bavardage, même cultivé. Et je m’aperçois soudain, que …, moi aussi …, je ne suis qu’un incorrigible bavard, lequel ne consulte en aucune manière l’avis de son lecteur avant que de poursuivre.

C’est là sans doute l’un des pièges qui guette la littérature, mais nous reviendrons sur cette épineuse question une autre fois ...

(Jules Renard : « Ecrire, c’est une façon de parler sans être interrompu »)

Tu parles …!

 

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