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site de Roland Goeller
12 janvier 2010

Vers une société plus juste

Un journaliste pose à Amartya Sen (prix Nobel d’économie 2009, reçu en France à l’occasion de la parution de son livre « Une idée de justice ») une question en apparence sibylline : comment définiriez-vous une société juste ?

Et nous autres, comment la définirions-nous ? Parfois, le diable se cache dans les détails et le piège dans la forme de la question. A supposer que nous envisagions de répondre, nous prendrions alors un temps de réflexion, nous consulterions des sources, des références, d’éminentes contributions historiques sur la question : Hegel peut-être, Marc Aurèle, les Onze de Thermidor, Jaurès … Très vite nous nous rendrions compte que la question est complexe, ardue, difficilement cernable. Dans quelque théorie que nous exposerions, nous décèlerions des lacunes et des imperfections qui la feraient très vite rejeter.

Passé un temps respectable de réflexion, notre groupe de penseurs se diviserait en deux camps. Dans le premier se rangeraient les obstinés, ceux qui restent convaincus qu’on peut définir un modèle de société parfaite, du moins perfectible. Ils s’appuient sur la conviction qu’il est possible de synthétiser une quantité suffisante de données et de concepts pour parvenir à un tel modèle, que cette tâche est à la portée de l’esprit humain ou d’un conglomérat d’esprits humains. Pragmatiques, ils se rendraient compte qu’il y a loin de la coupe (de leurs utopies) aux lèvres (de leur réalité) et nous promettraient des « lendemains qui chantent … », lesquels justifieraient la marche forcée (et totalitaire) pour y parvenir.

Ceux de l’autre camp jettent l’éponge. En apparence ils passent pour des paresseux, des défaitistes voire des nihilistes. En réalité ils comprennent que la question est si complexe qu’elle dépasse, et de beaucoup, l’entendement humain. A leurs yeux, vouloir définir une société juste revient à concevoir des formes et des structures lesquelles recèlent d’insoupçonnables injustices futures. Le diable est dans les détails et ils se disent, ne pactisons pas avec ce diable là. Pour rien au monde ils ne veulent réitérer le cauchemar de Lénine qui s’est écrié, en 1917, du haut des marches du théâtre de St Petersbourg : « laissez moi vingt ans ». Ceux-là se rappellent une bonne fois pour toutes ce qu’il en est advenu au bout de ces vingt ans et jurent de ne jamais recommencer. Dans ce camp on ne sera pas surpris de trouver les libéraux : Tocqueville, Hayek, Rawls …

Alors que faisons-nous, me direz-vous.

Ecoutons la réponse d’Amartya Sen : je me garderai bien de vouloir définir une société juste, je me contenterai de redresser les injustices, une à une, en évitant d’en générer d’autres. Je ne crois pas en des concepts globaux ni en la capacité de l’esprit humain de forger des concepts parfaits. Je préfère m’en remettre à mon intuition et à mon indignation face aux injustices et, surtout, ne pas la faire taire. Point de grand système mais une somme d’initiatives locales, lesquelles finissent par faire tache d’huile.

Certes on pourra objecter que la régulation de la sphère financière internationale suppose une pensée globale préalable. La aussi, ne nous trompons pas de mot : Ford prétendait que l’écart de salaire entre la patron et le moins gradé de ses salariés s’inscrivait sur une échelle de 1 à 10. Cette réflexion procède d’un mélange d’intuition et de bon sens. Sa mise en œuvre exige non pas une pensée globale mais du courage politique (ainsi que les structures qui vont avec – merci Hobbes !)

En attendant ces jours heureux, remercions monsieur Amartya Sen pour sa modestie et sa mesure.

 

 

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Commentaires
R
Ne pas définir une société juste apriori mais réagir aux injustices que l'on voit. Valeur pratique de l'indignation pour rendre plus viable la société. Très intéressant ! Merci ;)
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