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site de Roland Goeller
20 février 2010

Contrôleuse de trains (2ème et dernière partie)

la première partie de cette nouvelle a été publiée sur ce blog le 16 février dernier

 

Le train de la vie quotidienne est en deux parties. Deux trains accrochés ensemble. Pour passer d’un train à l’autre, il faut attendre l’arrêt dans une gare. Le train roule en omnibus. Un tortillard ! Parfois, elle a du mal à dire correctement, train de la vie quotidienne. Ca fait marché de province, sans le marché et sans la province. Le nombre des arrêts lui permettra de faire plusieurs allers-retours d’un train à l’autre.

Le train démarre. Il passe à la hauteur des anciens ateliers qui n’en finissent pas d’exhiber leurs carcasses rouillées. Là aussi, les trente glorieuses ont retiré leurs troupes, pour les redéployer en d’autres contrées. Peut-être la ville devrait-elle faire quelque chose avec ces friches. En passant devant elles, on se croirait dans le Bronx. Le train accélère, elle fait les premiers contrôles, réveille des types déjà endormis. Des abonnements, un militaire, deux cheminots, la recette ne sera pas mirobolante. Elle ne voit pas les types avec le chien, ils sont sans doute montés dans le deuxième train. Il y a trois jours, il y eut un arrêt du travail spontané. C’était après l’événement de Cahors. La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre. Beaucoup de femmes ont eu les chocottes. Les mecs se sont joints à elle. Les agressions, c’est pour eux aussi. Quoique, un coup de boule, ce n’est pas tout à fait la même chose …

Le cadre responsable du service avait dit qu’il n’y a plus de roulements à agent seul. En théorie. Il fait toujours référence à une situation théorique. Mais, en pratique, il y a encore pas mal de trains où elles se retrouvent seules. Il y a toujours des impondérables, quelqu’un qui n’a pas pu venir, comme aujourd’hui. Le responsable du service n’a pas de joker dans la manche, alors il faut faire avec. En ville, les contrôleurs des bus se déplacent par équipes de trois. Le responsable du service avait dit aussi que les statistiques démontrent que l’insécurité à bord des trains recule. Elles n’ont rien obtenu. A midi, le directeur avait dit que l’arrêt de travail était illégal, au prétexte qu’il n’y avait pas eu de préavis. Il a ajouté qu’il verrait comment régler ça. Le Président a diffusé un message de solidarité avec la victime. Le message est placardé partout. La solidarité est théorique, rhétorique. Et en pratique, il n’y a aucune raison de changer l’organisation des choses, les statistiques le démontraient.

Le train s’arrête à Talence. Deux personnes descendent, trois autres montent. Elle se rend dans la rame de tête, là où sont les trois types. La rame est presque vide. Le seul voyageur est en règle, elle lui demande s’il ne trouve pas qu’il fait froid. Il la regarde, il s’en fout, il n’a besoin de rien. Elle sort la liste des horaires et fait demi-tour pour vérifier quelque chose. Elle n’a rien à vérifier, elle cherche à gagner du temps. Le train s’arrête à Marcheprime, elle descend. Le gars sur le quai vient jusqu’à elle, ils discutent un moment.

- Pas beaucoup de monde, elle lui dit.

- Non, c’est l’automne.

L’homme regarde le long des rails, l’arrêt est de courte durée, il est temps de repartir. Il coince le sifflet dans sa bouche. Elle a envie de lui dire qu’il y a trois types avec un chien, juste pour qu’il sache, mais le sifflet retentit.

Elle monte. Sur le quai, l’homme fait un signe et le train s’ébranle.

Elle se dit qu’elle va s’asseoir quelque part. Puis elle se dit que les trois types pourraient circuler dans le train et s’approcher d’elle. Elle serait alors en mauvaise posture. Elle avait appris ça, dans les formations aux situations dangereuses. Mais elle n’est pas dans une situation dangereuse, ces trois types sont inoffensifs, certes ils ont un molosse, mais si tous les types avec un molosse étaient dangereux, personne ne sortirait plus. Peut-être est-il préférable qu’elle reste debout ? Debout, à un mètre des personnes à contrôler, les personnes toujours en face et jamais le dos contre une cloison. Toujours avoir une issue dans son dos !

Il faut qu’elle décide, elle ne peut pas rester comme ça, le cul entre deux chaises. Les types doivent se demander pourquoi elle ne vient pas les contrôler. Si elle ne vient pas, ça veut dire qu’elle a les chocottes. La fille de Cahors avait-elle eu les chocottes ? Ses mains tremblent. Elle doit aller là bas. Sinon les types viendront à elle et ils auront l’avantage et du nombre et de la surprise. Il n’y a aucune raison de penser que ces types sont dangereux. Il n’y a pas d’agression chaque fois que des types ont l’air dangereux. Les statistiques démontrent que la violence à bord des trains baisse. Elle est dans la bonne tranche des statistiques, la partie verte du camembert. La campagne de pub sur les trains de la vie quotidienne montre une jeune femme sereine, les jambes croisées, en train de lire. Elle est dans un train de la vie quotidienne. Les trains de banlieue, c’était au siècle dernier. Les tags, ce n’est qu’une survivance, un anachronisme. Elle cherche des yeux la jeune femme en train de lire.

Les trois types la regardent venir. Ils se taisent.

- Vos billets, s’il vous plait.

Elle regarde leurs mains chercher leurs billets, jamais leurs yeux. Pas de provocations. Ils tendent leurs billets. Elle regarde, ils sont en règle.

- Et pour le chien, demande-t-elle, machinalement.

Les types se regardent. Ils n’ont pas le billet du chien. La gaffe … ! Elle aurait mieux fait de la fermer. Que va-t-elle faire maintenant ? Verbaliser ? Les types attendent. Si seulement, elle n’avait rien dit ! Si elle verbalise, ils auront un prétexte pour se jeter sur elle. Tous comptes faits, elle n’était peut-être pas dans la partie verte du camembert. Il se passe quelques instants réversibles pendant lesquels tout peut se produire. Mais le train freine, il arrive à Facture.

- Ca ira pour cette fois, se dépêche-t-elle de dire.

Elle tourne les talons et se précipite vers la plateforme. Les contrôleurs ont à descendre sur le quai à chaque arrêt de train. Les 3 types sont restés à leur place. Elle avance vers le type au képi. C’est un sale con mais elle est contente de le voir.

- Comment ça va aujourd’hui ?

Ses mains sont moites. Le sale con la regarde sans comprendre. Il agite la palette. Elle remonte dans le train de queue. Il y a là quelques lycéens, le genre qu’une réprimande assagit. Elle n’a plus rien à craindre. Les trains de la vie quotidienne sont plus sûrs, elle s’était fait des idées. Les statistiques ne se trompent jamais. A l’heure qu’il est, François a emmené la petite à l’école. Ce soir elle lui dira qu’il y avait trois types relous dans le train, qu’elle a marché un moment sur la corde raide. Mais les types sont restés tranquilles. Elle s’est fait des idées.

 

 

*

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Commentaires
R
Oui, le style mérite un relooking, mais pour le scénario je persiste
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B
C'est meilleur dans la seconde partie que dans la première, mais l'idée de faire de la peur "ordinaire" le centre de la nouvelle est excellente. On ne s'ennuie pas, quoiqu'à mon avis ça gagnerait encore à être retravaillé (quant au style).
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