Internet, une allégorie du capitalisme
Lorsque j’ouvre une session sur mon ordinateur apparaissent, de façon systématique, et sans en avoir fait la demande, des fenêtres publicitaires me proposant de mettre à jour telle ou telle fonction logicielle qui serait dépassée ou inadaptée. Ainsi il semble que je procède à la navigation sur la toile avec « internet explorer n », que la fenêtre publicitaire me propose de remplacer avantageusement par « internet explorer n+1 ». Ne sachant pas en quoi la nouvelle version constitue un progrès par rapport à l’ancienne, je m’empresse de cliquer sur le choix « non » proposé en bas de fenêtre (je suis un type ringard). Il y a sans doute moyen de désactiver le processus de rappel automatique de mise à jour de la nouvelle version, mais je l’ignore. Comme je suis rebuté à l’idée de naviguer à la recherche de ce moyen, l’ordinateur me propose à chaque ouverture de session, avec une régularité de métronome, une mise à jour que tout aussi régulièrement je décline. Il est possible au demeurant que les deux versions d’internet qui se disputent mes faveurs portent des noms différents mais cela ne change rien à l’affaire. Car l’affaire consiste en ceci : une version est mise sur le marché, dont j’utilise à peine le dixième de toutes les fonctions. Douze mois plus tard apparaît une nouvelle version, soi-disant plus évoluée, mais dont je n’utiliserai pas plus de fonctions. Hélas, mon combat d’arrière garde aura une fin, car ma version « n » finira par être « incompatible » (une incompatibilité absolument « involontaire », nous jurerons les fournisseurs, la bouche en cœur !) et je n’aurai plus d’autre choix que d’acquérir « n+1 », au prix fort vraisemblablement.
Pour dire les choses autrement: des gens, quelque part, ailleurs, dans le monde globalisé, ne cessent de développer des versions nouvelles dont je n’ai nul besoin des fonctionnalités. Ces gens fabriquent des «Rolls Royce» alors que j’ai besoin de bicyclettes. Ces gens sont rémunérés, généreusement sans soute, puisqu’ils fabriquent des trucs dont je n’ai nul besoin, sans même que je n’en ai fait la demande. Ils sont rémunérés d’une façon qui m’est imposée, opaque, par des pourcentages, des parties de forfaits, des ristournes, tout un système de taxes centésimales dont l’addition finit par donner des milliards de $. Et, à tout bien prendre, ils sont mieux rémunérés avec une Rolls Royce qu’avec une bicyclette.
Et sans doute le capitalisme fonctionne-t-il ainsi: des types, quelque part, fabriquent des trucs pour répondre à des besoins qui n’existent pas encore, mais dont il s’efforceront de rendre l’usage fun et ludique, de telle sorte que le besoin surgisse ex nihilo. Et le fun du fun consiste à changer de truc tous les six ou douze mois, de ne pas avoir le temps de s’habituer à un truc que déjà il est out, bas been, démodé. Et, pour un ado, rien n’est pire que de ne pas être en possession du portable dernier cri, dont l’évocation est rappelée à grand renfort d’images et de pubs à chaque coin de rue, chaque spot télévisé, page de magasine, écran d’ordinateur … . Eh oui, le capitalisme aime les ados, eux seuls maîtrisent cet art de rendre les choses ringardes, sans lequel le capitalisme serait bien en peine.
Voilà, pas plus compliqué que ça !
A l'inverse, le libéralisme (régulé) tels que l’entendaient Constant, Tocqueville, Hayek, Rawls … suppose une économie de marché dans laquelle les acteurs peuvent à tous moments comparer les prix et les coûts. Ce libéralisme-là suppose des circuits courts, un tissu d’«économies locales» où les acteurs se connaissent et se retrouvent. Il y a là une idée de transparence. Le libéralisme n'aime pas l'embrouille. Rien de tel avec le capitalisme qui a besoin «d’aller loin», pour expliquer qu’en Chine c’est moins cher et dissimuler le fait que les salariés chinois n’ont (presque) pas de couverture sociale. Plus les acteurs (producteurs et consommateurs) sont éloignés les uns des autres, plus les intermédiaires prennent le pouvoir et en font un usage que chacun jugera.
Le capitalisme n’aime pas le libéralisme !