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site de Roland Goeller
25 janvier 2011

Pas de célébration nationale pour Louis-Ferdinand

louis-ferdinand-celine-granger

Chaque année, la République célèbre un florilège de personnalités et d’événements, emblématiques de son histoire, de sa pensée, de son identité et de son devenir. En substance, la République confie à un Haut Comité le soin d’établir et de soumettre une liste de célébrations (nationales) à l’autorité du ministre de la culture, lui-même personnalité désignée, intuitu personnae, et créditée d’une autorité morale.

Sur la liste 2011, le Haut Comité retient Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, mort en juillet 1961, le père de Bardamu, le médecin de Meudon, la grand blessé de la guerre de 14, l’auteur de ‘Voyage au bout de la nuit’, ‘Mort à crédit’, ‘Rigodon’, etc, mais aussi ‘Bagatelle pour un massacre’ et quelques autres pamphlets dans lesquels il ne dissimule pas son antisémitisme. Aussitôt s’insurge la FFDJF (association des fils et filles des déportés juifs de France) par la voix de son président Serge Klarsfeld, lequel demande le retrait pur et simple de Céline sur la liste, au prétexte d’antisémitisme. Après quelques jours de polémique, le ministre de la culture annonce le retrait demandé, « en son âme et conscience » et « sans désaveu du Haut Comité ». La FFDJF et son président se disent « soulagés ».

Ainsi les « célébrations nationales » 2011 définitives, pour les millésimes 1911 et 1961, sont les suivantes :

1911 
Naissance de Jean-Pierre Lévy
Naissance de Maurice Schumann
Naissance de Georges Pompidou
Naissance d’Henri Troyat, de l’Académie française.
Naissance d’Hervé Bazin
Naissance d’Emil Cioran
Naissance de Patrice de La Tour du Pin
Naissance d’André Leroi-Gourhan
Maurice Maeterlinck obtient le prix Nobel de littérature
Marie Curie obtient le prix Nobel de chimie 

1961

Approbation par les Français de l’autodétermination en Algérie (référendum du 8 janvier)
Mort de Blaise Cendrars
Mort de Maurice Tourneur
Mort de l’abbé Henri Breuil, «père de la préhistoire »
Publication de l’Histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault
Sortie du film L’année dernière à Marienbad, d’Alain Resnais et Alain Robbe-Grillet
Création du Centre national d’études spatiales
Inauguration de l’aérogare sud d’Orly par le général de Gaulle
Création de la Politique Agricole Commune Européenne
Fondation de la maison de couture Saint-Laurent
Création de Et maintenant par Gilbert Bécaud
Premier concert de Johnny Halliday à l’Olympia

 

L’inscription en première lecture puis le retrait de Céline constitueront «l’événement» de ces célébrations 2011.

Car Céline, ce n’est pas n’importe qui.

Aux yeux de nombre de lecteurs, amateurs, avertis ou experts, Céline figure sans conteste dans le trio de tête des auteurs français du XXème siècle. La célébration nationale aurait entériné ce fait et la République aurait ainsi pu rappeler à ses «enfants» vers quelles lectures se tourner. Au lieu de cela, après une pitoyable pantalonnade ministérielle, la République dit préférer la célébration de Gilbert Bécaud et Johnny Halliday, lesquels bien sûr ne déméritent pas.

Passons sur le discrédit que jette le ministre sur le «Haut Comité», nous savions qu’il n’en avait plus que le nom (avec petits fours et à la clé rémunérations qui ne sont pas sans rappeler certains «privilèges» que la même République professe avoir aboli). Passons. Mais que signifie cette mise à l’index?

La FFDJF rappelle que Céline, écrivain génial, fut aussi un polémiste antisémite. Ce rappel, pour juste qu’il soit, légitime-t-il le purgatoire dans lequel on veut maintenir l’écrivain ? Une œuvre littéraire, me semble-t-il, se juge avant tout selon des critères littéraires. Dès lors, condamner Céline montre clairement que des critères non littéraires (en l’occurrence éthiques) l’emportent désormais dans le jugement de valeur et que la littérature est subordonnée à une doxa, une ligne de pensée. Serions-nous en train de revenir à une obscurité moyenâgeuse où nul sous peine de mort n’avait le droit de remettre en cause le modèle héliocentrique de Ptolémée? Certes, nul parallèle entre l’œuvre de Giordano Bruno et «Bagatelle», mais la littérature est (le dernier?) espace imaginaire de liberté. Ce même espace de liberté a permis la publication des Bienveillantes de Jonathan Littel (prix Goncourt 2006), livre dans lequel, à titre personnel, j’ai cru identifier une grande complaisance de forme envers une idéologie que l’auteur prétendait dénoncer précisément par un excès de vraisemblance. Mais il ne me serait pas pour autant venu à l’esprit d’exiger l’index pour Littel et je ne me rappelle pas non plus que la FFDJF se soit insurgée contre les Bienveillantes (sauf erreur de ma part).

La posture de la FFDJF est-elle du reste cohérente et productive? J’approuve sans réserve son action, intellectuelle et juridique, vis-à-vis de toute production négationniste, la vigilance positive dont elle fait preuve vis-à-vis de la mémoire de la Shoah (encore que cette vigilance doive se garder d’excès au risque de générer de la lassitude). Cependant, vouloir escamoter Céline, ce n’est pas lutter contre le négationnisme mais vouloir faire disparaître l’une des données du problème. Car non seulement la donnée ne disparaîtra pas, mais elle gagnera en «aura» en circulant en samizdat (il suffit de voir à combien se négocient les exemplaires encore disponibles de «Bagatelle»). En voulant, au prétexte de son antisémitisme, faire de Céline un «mauvais écrivain» la FFDJF prend le risque d’en faire l’«écrivain maudit» qu’il n’est pas, «aura» dont ses lecteurs inconditionnels n’ont nul besoin mais qui en revanche risque d’attirer à lui des «inconditionnels» qui ne soient pas lecteurs. La FFDJF, me semble-t-il, aurait eu meilleur compte à laisser à Céline la place qu’il mérite dans la littérature française et à favoriser autour d’œuvres telles ‘Bagatelle’ un débat que la simple «mise eu clair» des arguments aurait vidé de ses relents méphitiques. En diabolisant, la FFDJF jette sur Céline un opprobre de même nature que celui dont elle l’accuse et dès lors prend le risque d’apparaître comme instance vengeresse plutôt que comme l’autorité morale qu’elle prétend.

En bref, luttons contre les négationnistes mais foutons la paix aux mannes (littéraires) de Céline !

Quant au ministre de la culture, on ne mesure pas encore les conséquences de sa volte-face. Du jour au lendemain, le ministre passe d’une posture consistant à dire «génial quoique antisémite» à cette autre posture laquelle prétend «antisémite donc pas génial». Il faudrait savoir, monsieur le ministre. Savoir avant. Et assumer ce qu’on déclare ou, à l’inverse, ne rien déclarer qui ne se puisse assumer. Lorsque vous vous exprimez, monsieur le ministre, c’est la République qui parle et il me peine de la voir en posture de petit garçon honteux comme d’avoir été pris à chaparder une pomme.

Mais en acceptant, sous la pression d’une association aux mobiles excessifs et sous l’effet de votre pusillanimité (qui peut-être résulte d’une mollesse d’âme et d’un dilettantisme coupable à ce niveau), en acceptant de vouer Céline aux gémonies, non seulement vous ne désavouez en rien son génie mais vous éloignez la République de ses vrais «phares spirituels» en lieu et place desquels vous proposez les inoffensifs Gilbert Bécaud et Johnny Halliday, lesquels rappelons le ne déméritent pas.

Que n’avez-vous compris, monsieur le ministre, que Céline était «à la fois antisémite et génial» !

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