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site de Roland Goeller
25 février 2011

Rhapsodie du feu rouge

 

Il m’est arrivé à moi aussi de griller un feu rouge, je ne suis pas toujours l’exemplaire citoyen que je campe, et sans doute la bonne raison que je me suis donnée pour griller le feu rouge n’était pas aussi bonne que cela. J’étais en retard, me justifiais-je, mais aussi il ne tenait qu’à moi de ne pas être en retard. Ces quelques infractions dont je me suis rendu coupable expliquent-elles l’indulgence que je porte à ceux, de plus en plus nombreux, qui grillent les feux rouges? L’indulgence ne dispense pas de la prudence. Aujourd’hui, non seulement je grille de moins en moins les feux rouges, mais je m’arrête de plus en plus souvent aux feux lorsqu’ils sont verts, craignant, à traverser les «yeux fermés», de me retrouver nez à nez et en fâcheuse posture avec un «grilleur de feu rouge» invétéré.

A quoi cela tient-il, me suis-je demandé. A la densité urbaine, comme se plaisent à dire les urbanistes, à la complexité de la cité, à l’éloignement croissant du domicile par rapport au lieu de travail, à l’emballement du temps (time) ? Sans doute toutes ces raisons jouent-elles et il est probable que j’en oublie. Deux parents qui travaillent sont soumis à d’innombrables tracasseries et aléas, la crèche d’un côté, la maternelle de l’autre et le rendez-vous chez le pédiatre au pas de course, les menaces de restructuration, sans parler de l’administration qui continue d’envoyer les papiers à l’ancienne adresse. Tout cela génère un stress épouvantable et grande est la tentation de «faire la nique» à ces feux tricolores qui balisent nos carrefours tels de sourcilleux sémaphores. Pourtant ce ne sont pas les parents stressés qui fournissent les plus importants bataillons de «grilleurs de feux». Ils voient patienter aux carrefours, souvent turbulents, des petits enfants auxquels se joindront bientôt les leurs et sont plus prompts au coup de frein qu’au coup d’accélérateur. Non, les délinquants des feux rouges ne sont pas ceux qui auraient quelques bonnes excuses de l’être et toutes les raisons que l’on pourrait se donner pour en ignorer l’injonction (des feux rouges) ne sont pas suffisantes pour expliquer cette attitude aussi désinvolte que dangereuse, aussi répandue qu’une mauvaise grippe, et qui me fait craindre pour ma vie à chaque feu rouge que je traverse.

A quoi cela tient-il alors ?

Et, à la réflexion, qu’est-ce qu’un feu rouge ?

Un poteau avec trois feux qui s’allument alternativement? Un sémaphore devant lequel il est convenu de s’arrêter au rouge et de passer au vert? La représentation d’un gendarme, laquelle signifie qu’en ce lieu s’applique une loi qui impose des règles et des priorités, loi à laquelle nul ne saurait déroger?

On peut «griller un feu rouge» d’être daltonien, mais en toute autre circonstance c’est d’être irrespectueux envers la loi dont les romains disaient dura lex sed lex. La loi est intraitable mais sans la loi je ne passerai pas des journées paisibles et je serai probablement déjà mort, trucidé dans un de ces coupe-gorge qui faisaient florès au Moyen Age lorsque les Capétiens n’avaient pas encore rétabli l’ordre. Chaque fois qu’un individu contrevient à la loi, c’est qu’il considère, de façon tacite ou volontaire, que son bon droit l’emporte sur le droit commun. Le type qui «grille» un feu rouge au risque de me cartonner lorsque, confiant, je passe au vert, ce type considère que son bon droit l’emporte sur le droit commun dont je me réclame. Le fait qu’un nombre croissant, voire impressionnant, de types «grillent» les feux rouges (ce qui a conduit la puissance publique à installer un peu partout des radars, des caméras, des détecteurs …) ce fait m’interroge sur au moins deux points : d’une part l’efficacité de l’école publique et son échec relatif quant à la prise en compte du civisme, d’autre part la déliquescence de la conscience nationale (la conscience d’être une nation, un corps social d’une relative homogénéité, avec des valeurs communes, un passé, des grands hommes, un avenir, un destin ...) avec des concitoyens qui se comportent de plus en plus comme des mercenaires dont le bon droit l’emporte sur le droit commun.

Je n’ai pas répondu à la question de savoir à quoi cela tient. A mes yeux il appartient à chacun de répondre en son âme et conscience, avec l’aide d’un certain nombre de considérations et de références dont ce billet est une (modeste) introduction. Evidemment la question du franchissement des feux rouges peut prêter à sourire. Et tous les «grilleurs» de feux rouges ne sont pas gens à accélérer lorsqu’un «condé» s’apprête à leur demander les papiers, à prendre place à l’arrière d’un scooter et arracher le sac à main qu’une femme laisse flotter de façon «provocatrice», à bousculer une mamy malhabile devant un distributeur de billets ou à «niquer la race» d’un individu qui l’a regardé de travers à la sortie d’une discothèque, certes, mais «griller» un feu rouge c’est déjà un «franchissement de ligne jaune» et lorsqu’on se trouve dans cette friche mentale où l’absence de sanction vaut consentement, les franchissements de ligne jaune sont de plus en plus fréquents et longs.

Voilà à quoi je songe au pied d’un sémaphore : chaque type qui se croit autorisé à «griller» un feu rouge agrandit le trou dans la couche de morale, comme le CO² dans la couche d’ozone.

 

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Commentaires
Y
Merci pour le passage au pied des "mots de la ville" !<br /> <br /> Belle réflexion sur la grillade de feux rouges ! Société pleine de contradictions qui nous demande au boulot de débusquer et supprimer les temps morts, de donner de fluidité et de la réactivité à nos actions et ces feux rouges qui obligent à s'arrêter, à perdre du temps. Finalement les ronds-points, symbole d'un nouveau monde, seraient des alliés de la productivité ?
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