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site de Roland Goeller
13 mai 2011

La mobilité managériale

C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Sans doute le maître artisan demandait-il au jeune apprenti d’ouvrir grand ses yeux et ses oreilles, de s’acquitter sans rechigner des « petites tâches », de s’imprégner lentement de tout ce qui compose son univers de travail, de se tromper de moins en moins bref, comme le disait Nietzsche, d’ »obéir longtemps avant de commander ». Il en va ainsi des forgerons, des maçons, des architectes, des peintres, des conducteurs de trains, des jardiniers …, seuls les managers semblent échapper à cette loi.

Certes, c’est en manageant qu’on devient manager mais, à y regarder de près, il y a dans cette proposition une petite imposture. Laquelle ?

Forgerons, maçons, architectes, peintres, conducteurs de trains et jardiniers ont ceci en commun qu’ils sont jugés à leurs œuvres. Une maison mal conçue restera indubitablement mal conçue. Un cardan d’automobile mal dimensionné se rompra prématurément. A mauvais peintre, mauvais tableau. Diable, il en va de même pour nous, clament les managers, offusqués de ne pas figurer sur la liste, «blacklistés» diraient-ils. Il en va de même pour nous, répètent-ils à l’envi, nous mettons en œuvre non pas nos propres ressources, mais celles du groupe ou de l’entité que nous manageons et notre contribution à son résultat, à son «œuvre» comme vous dites cher monsieur, n’en est pas moins considérable.

Certes.

Certes, il existe des managers dont on pourrait dire cela. A vrai dire, nous devrions pouvoir dire cela de tout manager qui se respecte. Un manager met en œuvre les ressources des autres, c’est ce qui lui est demandé. Dans ce sens il lui appartient non seulement de bien connaître ces autres en tant qu’individus, mais aussi de posséder quelques rudiments de leur métier, mais aussi de percevoir la dynamique des autres dans leur groupe, mais aussi … Comme il n’existe pas de managers omniscients, on conçoit que les managers soient dans l’obligation de parcourir ne serait-ce qu’une partie du chemin que le maître artisan demande à l’apprenti forgeron de parcourir.

Las. Sans doute notre vision des choses est-elle désuète, très has been. Car le manager moderne prétend être universel et omniscient. Un jour il dirige une unité de fabrication de yaourts, le suivant il gère le planning familial, le troisième il s’occupe de recyclage des déchets. Il est vrai que le manager moderne porte partout le même uniforme de travail : costume cravate. Ses outils de travail sont transposables d’une entreprise à l’autre : blackberry, portables, bureau acajou, note de frais et voiture de fonction. Il en va de même de ses méthodes et procédures de travail : réunions de service, téléconférences, séminaires, reportings. Quant à ses résultats (les résultats de son entreprise …) ceux-ci seront présentés convenablement par un service de communication versé dans l’art du cadrage et des prises de vue. Il est vrai qu’a minima un manager doit savoir, grosso modo, comment tout cela fonctionne, qui fait quoi, où et quand. Il est vrai aussi qu’il n’hésite pas à «passer en force», si nécessaire, lorsque grosso modo il a fait une erreur d’appréciation, mais la matière humaine en face de lui sait se montrer malléable et résiliente, pas comme l’acier qui rompt lorsque le forgeron manque de savoir-faire. Il est vrai aussi que la matière humaine, parfois, rompt (notamment les cadres intermédiaires lesquels, à l’inverse des compagnons ou ouvriers, ne «possèdent» pas un métier dont s’enorgueillir du savoir-faire). Elle a alors le mauvais goût de se pendre, de se jeter par les fenêtres, de s’immoler. Le manager moderne en est surpris, consterné, il compatit, s’associe à la douleur des familles et promet de faire un retour d’expérience. Surtout il ne comprend pas, de même qu’il ne comprend pas comment on forge l’acier ni comment on compose une palette de peintre ni comment on sème les graines. Ce n’est pas de sa faute, il n’a pas appris, il n’a pas eu le temps d’apprendre, on lui dit qu’il n’est pas nécessaire qu’il apprenne. Il passe des yaourts au planning familial puis au recyclage des ordures comme on change de chemise. Ca s’appelle la mobilité, managériale, et ça a le vent en poupe.

Cela n’a rien d’un long fleuve tranquille. Cela ressemble plutôt à ces parcours d’initiation que seuls terminent les plus intrépides et les plus aguerris. C’est violent. C’est tellement violent que pour survivre, le manager moderne doit se durcir, devenir insensible, ignorer les états d’âmes, avancer à la manière des bulldozers … et tout ça en faisant cheese, en disant vous n’êtes pas sans savoir que, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes vous comprendrez donc que, nous allons nous redéployer sur d’autre sites mais les cellules d’accompagnement sont en place … Cela a un côté très bon enfant!

 

NB: on conçoit mal un commando, un groupe armé chargé d'une intervention ..., on conçoit mal dis-je que le chef de ce commando ou de ce groupe ne soit pas expert dans le maniement des armes, dans le renseignement, dans le génie ..., au même titre et bien plus que ses hommes. Une armée dont le chef n'est pas un "crak" est promis à la déroute ( ce qui s'est passé en 40 en France?).

 

Les choses sont peu différentes pour le management des entreprises.

 

 

 

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