Je est un autre ?
« Je » est-il vraiment un autre ? Oh certes, lorsque, débarrassé des égocentrismes, « je » parvient à la bonne écoute du monde, alors « je » est un autre, il est même tous les autres réunis. Flaubert « était » la Bovary. Stendhal « était » Fabrice del Dongo mais aussi la Senseverina et Clélia Conti. En « je » sont « inscrits », « présents » tous les autres, en creux, sans substance, des formes pures qui attendent que « je » leur prête souffle. En ce sens, le « je » qui accepte de ne pas se limiter à soi-même est un « autre ». Nous sommes dans l’alchimie sémantique. Ce que le poète a dit de lui-même est vrai pour tous.
Mais en même temps, « je » ne saurai être autre chose que « je ». Cette propriété d’expansion ne conduit à aucune transmutation. De la transcendance peut-être. « Je » ne restera jamais que lui-même. Il convient à « je » de chercher sa substance en lui-même et non dans les autres, dans cette substance que les autres en lui ont enrichie. Hors du « je », point de salut. Hors du « je », hors-jeu ! Lorca, Ceylan, TS Eliot ou PJ Jouve n’ont pas dérogé. Leur substance poétique est issue du sol, de la terre et des autres, sur laquelle et lesquelles ils ont posé le stéthoscope de leur sensibilité. Mais après avoir dit « je est un autre », le poète est parti en Abyssinie, se livrer aux trafics d’armes et d'esclaves. Se serait-il pris au mot ?