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site de Roland Goeller
23 octobre 2011

Jane Austen : Orgueil et préjugés

Jane_Austen_with_frame_flip

Il y a déjà du Flaubert dans ce livre. Du Proust aussi. Il y a du Flaubert mais plus que cela. Flaubert disait être « la Bovary », il souffrait comme elle, prétendait-il, mais en réalité pas vraiment, il feignait de souffrir comme la Bovary. Jane Austen n’est pas non plus Lizza Bennet et pourtant elle l’est plus que Flaubert la Bovary. Je ne crois pas que Flaubert ait aimé une femme comme ce Charles dont il fit l’époux d’Emma, mais je crois sans peine que Jane Austen a aimé un homme à la manière dont Lizza aima Darcy, plus encore. Je crois même qu’elle n'a pris en compte qu'une partie de l’amour éprouvé pour le Darcy de sa vie.

L’opulence et le faste dans lequel baigna le jeune aristocrate ont sans doute plus amusé que bluffé l’esprit brillant qu’était Jane, mais elle aura trouvé dans le Darcy de sa vie un homme qui fut à la hauteur de son ambition amoureuse et dont elle résolut de se faire aimer. Elle, fille d’un homme d’église, issue d’un milieu aisé quoique modeste, fille de surcroît, fréquentait et se projetait volontiers dans ce milieu aristocratique où le maniement des convenances et des formes exigeait un esprit de la finesse du sien, ne pouvait convenir qu’à des esprits de sa finesse. Dans un mouvement inverse de celui de Flaubert qui voulut toiser et dompter la médiocrité à laquelle il laissa Emma succomber, Jane Austen prêta à Lizza à la fois les affres mais aussi la félicité à laquelle sans doute elle n’accéda pas elle-même et là réside toute la force du livre : dans la vraie vie, Jane n’a pas eu Darcy. Jane a échoué là où Lizza a triomphé. Peut-être n’avait-elle pas tout à fait la beauté de Lizza, peut-être les préjugés de classe étaient-ils si forts que rien ne fût en mesure de vaincre l’orgueil qui se dressait contre les sentiments.

Sans doute Jane connut-elle le Darcy de sa vie et le séduisit-elle mais pas au point de l’amener à transgresser le code des castes derrière lequel il dut se retrancher. Dès lors Jane prêta à Lizza des armes restées inefficaces dans sa propre existence, et la dextérité dont elle fit preuve dans leur maniement virtuel n’est pas sans rappeler le Proust de la Recherche (plongé dans un milieu dont assurément il connaissait mieux les arcanes). En faisant triompher Lizza là où elle (probablement) échoua, Jane Austen nous fit le don d’une œuvre intelligente et lumineuse, en un mot exceptionnelle, qui n’a rien à envier à ce XVIIIème siècle d’outre-Manche dont Benjamin Constant disait que « les formes préservent de la barbarie »

 

« …Elle ne détestait plus Mr. Darcy, non certes. Il y avait longtemps que son aversion s’était dissipée et elle avait honte maintenant de s’être laissée aller à un pareil sentiment. Depuis quelques temps déjà elle avait cessé de lutter contre le respect que lui inspirait ses indéniables qualités, et sous l’influence du témoignage qui lui avait été rendu la veille et qui montrait son caractère sous une jour si favorable, ce respect se transformait en quelque chose d’une nature plus amicale. Mais au-dessus de l’estime, au-dessus du respect, il y avait en elle un motif nouveau de sympathie qui ne doit pas être perdu du vue : c’était la gratitude. Elle était reconnaissante à Darcy non seulement de l’avoir aimée, mais de l’aimer encore assez pour lui pardonner l’impétuosité et l’amertume avec lesquelles elle avait accueilli  sa demande, ainsi que les accusations injustes qu’elle avait jointes à son refus. Elle eût trouvé naturel qu'il l’évitât comme une ennemie, et voici que dans une rencontre inopinée il montrait au contraire un vif désir de voir se renouer leurs relations. De l’air le plus naturel, sans aucune assiduité indiscrète, il essayait de gagner la sympathie des siens et cherchait à la mettre elle-même en rapport avec sa sœur. L’amour seul – et un amour ardent – pouvait chez un homme aussi orgueilleux expliquer un tel changement, et l’impression qu’Elizabeth en ressentait était très douce, mais difficile à définir. Elle éprouvait du respect, de l’estime et de reconnaissance : elle souhaitait son bonheur. Elle aurait voulu seulement savoir dans quelle mesure elle désirait que ce bonheur dépendît d’elle, et si elle aurait raison d’user du pouvoir qu’elle avait conscience de posséder encore pour l’amener à se déclarer de nouveau. » (chap 44)

 

 

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Commentaires
S
Je ne peux me prononcer sur votre note de lecture du roman de Jane Austen, car je ne connais de son roman que son adaptation cinématographique. Mais à propos de Flaubert et de l'interprétation psychanalytique de son "Madame Bovary, c'est moi", j'ai toujours exprimé mon désaccord global avec la "psychanalyse* des artistes à partir de leurs oeuvres". <br /> "Madame Bovary, c'est moi" n'est sans doute que la manifestation narcissique d'un écrivain, qui a placé beaucoup de travail pour faire à partir d'un fait-divers un roman génial. À son époque, la place des artistes dans la société n'était pas celle qu'elle a aujourd'hui.<br /> * psychanalyse....en leur absence!
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