Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
site de Roland Goeller
13 novembre 2011

11 novembre en Alsace: jour de mémoire (et d’oubli)

Les circonstances ont voulu que je passe le WE du 11 novembre en Alsace. Les circonstances mais pas tout à fait le hasard : les morts dont la mémoire m’honore et dont j’honore la mémoire reposent en terre alsacienne, quelque part entre Strasbourg et Saverne. Cependant les instants de recueillement ont été quelque peu troublés par la lecture de la presse locale. Les DNA (Dernières Nouvelles d’Alsace) ont titré en première page : « 11 novembre – Jour de mémoire ». Nulle contestation possible, mais la suite précise : « après la disparition des derniers poilus, la commémoration de l’armistice de 1918 pourrait évoluer vers un hommage aux soldats morts pour la France sur tous les fronts. En Alsace le travail de mémoire continue à être inscrit dans le marbre ».

Ce commentaire, encore, n’appelle pas de contestation majeure : les soldats morts pour la France, quelle que soit la guerre qui les vit périr, méritent notre respect. Et l’idée du Président de progressivement faire glisser la commémoration à tous les conflits ne manque pas de vertu républicaine. Cependant, en Alsace, le travail de mémoire continue-t-il d’être « inscrit dans le marbre », ainsi que le prétendent les DNA ?

Il faut dès lors préciser quelques points d’histoire. On m’objectera sans doute, avec raison, que je ne dispose pas des compétences nécessaires pour livrer un travail d’historien, mais là n’est non plus mon intention. Je voudrai seulement questionner le sens commun et invoquer ce que nul n’ignore. Les poilus, ce sont ces soldats, français pour la plupart, enrôlés sous le drapeau français, morts aux champs d’honneur quelque part dans le Nord de la France, entre 14 et 18. Des soldats dont les noms, jusqu’à la fin des temps, seront associés à des lieux tels le Chemin-des-Dames, Verdun, les Ardennes ou la Somme. Des soldats qui se comptèrent par millions et que des stratégies parfois imbéciles conduisirent au charnier par millions aussi.

Parmi les poilus figuraient des alsaciens et, à n’en pas douter, l’Alsace s’honore de ses et de ces poilus. Les 11 novembre, commémorer leur souvenir n’est que justice. Cependant l’histoire emprunte parfois des chemins tortueux qui ont du mal à entrer dans les pages lisses des livres. En Alsace ces chemins ont pris des allures de crevasses, de géosynclinaux, de renversements et de tremblements de terre.

Le 30 juin 1914 un archiduc autrichien fut assassiné à Sarajevo. On sait ce qu'il en advint. L’Alsace était alors allemande. Elle l’était depuis 1871. Elle l’était pour des raisons que d’aucuns jugeront bonnes ou mauvaises, mais elle l’était. Et ses habitants n’en portent pas la responsabilité. En 1871, tous ne purent fuir en France ainsi qu’il fut proposé et tous ne le voulurent pas. Aussi, à partir de juillet 1914, d’innombrables alsaciens furent-ils mobilisés … dans l’armée allemande. Ils combattirent sur le front russe, puis sur le front ouest. Ils étaient du nombre de ceux dont E.M. Remarque a dit : « à l’ouest rien de nouveau ». Ils combattirent sans doute des poilus, en tuèrent et en furent tués. Le voulurent-ils ? Veut-on aller à la guerre ? Ce serait leur faire un mauvais procès que de tous les jeter dans le même sac de la revanche.            

Aujourd’hui l’Alsace fait partie de la France. Il en est ainsi depuis 1945. Il n’en a pas toujours été ainsi. Les habitants de l’Alsace contemporaine proviennent d’horizons très différents, comme me le fit remarquer fort justement un  journaliste. On ne sera pas surpris dès lors de trouver dans le « socle mémoriel alsacien » des mémoires très différentes. Cependant le devoir de mémoire s’adresse à tous.

Aux poilus morts pour la France, certes. Mais il y a les autres. L’Alsace compte nombre de descendants de ces soldats partis combattre sur le front russe, vêtus d’un uniforme allemand. Et, plus près de chez nous, quelle famille peut dire qu’il n’y eut pas dans ses rangs un ou plusieurs « malgré-nous » ? (près de 130 000 alsaciens  enrôlés de force dans le Wehrmacht, la plupart y laissant leur vie).

Cette mémoire ne s’honore-t-elle pas ? Et au nom de quoi ? Il ne s’agit pas bien sûr d’instituer une quelconque journée commémorative de plus. Mais la République honore ses morts et si l’Alsace fait partie de la République, alors, peu ou prou, toutes les parties de son histoire doivent trouver une place dans son épopée, du moins dans son souvenir, sans quoi ceux qui ont des « morts indésirables » dans leur passé en porteront toujours seuls le fardeau. Et ces morts, l’édition des DNA du 11 novembre en a fait l’oubli. Or quelle mémoire saurait durablement rester sereine en gardant en son sein de telles zones d’obscurité ? 

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Que tous ceux qui pensent que "les passions modifiées par les gouvernements et les moeurs font les nations diverses; qu'alors le genre humain cesse de s'entendre et de parler le même langage" (Chateaubriand),lisent "Joseph dit Sep'1",hymne déchirant de Roland Goeller à l'Alsace et à sa famille écartelée par les deux guerres mondiales.
Répondre
S
Les épisodes d'annexion de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine, de 1871 à 1918 et de 1940 à 1944, ont vu un certain nombre de "malgré nous" tomber sous un uniforme qu'ils ne pouvaient choisir. Il n'y a effectivement aucune raison de les exclure des hommages que notre civilisation s'oblige à répéter, envers tous ceux qui sont morts à la guerre. La boucherie de 14/18 a fait prendre conscience aux peuples de l'Europe de l'absurdité finale de toute guerre, à laquelle la violence atavique de l'homme semblait avoir condamné l'humanité. <br /> Depuis 1945, plus aucun conflit d'une pareille importance n'a plus affecté notre monde démocratique, malgré la volonté d'en découdre qui nous démange parfois, ou qui anime nos ennemis. <br /> Nous sommes encore, de ce fait, obligés d'avoir une armée, à la fois pour assurer notre défense, et celle de nos valeurs, quand nous sommes témoins d'une injustice usant des armes, comme en Libye.<br /> Ces morts récents et à venir, seront, heureusement, en petit nombre, mais comme dans la parabole des ouvriers de la onzième heure, ils devront être traités également par les vivants. Le rassemblement ce tous ces hommages le 11 Novembre, dont le climat habituel est propice à la méditation, ne me choque pas.<br /> Mais le propre de la vie politique française, c'est la contradiction systématique!
Répondre
site de Roland Goeller
Publicité
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 232 434
Archives
Publicité