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site de Roland Goeller
21 novembre 2011

La voie ouverte par Woyzeck et l’Ange Bleu

buchner

Je termine la lecture du Woyzeck de Georg Büchner et la chose qui me vient immédiatement à l’esprit, c’est que Woyzeck est une réponse aux questions posées à un jeune auteur par son époque et, oserais-je, par le peuple d’où il est issu. Büchner naquit dans le Hessen, peu après 1800, vécut à Darmstadt et un peu aussi à Strasbourg (en exil parce qu’il avait dit des choses inaudibles pour le pouvoir) et mourut 23 ans plus tard après être devenu docteur en médecine et avoir laissé une œuvre littéraire de premier plan (Son nom du reste est associé au plus prestigieux prix littéraire allemand). Qu’a dit Büchner et que fallait-il dire dans l’Allemagne de 1830, déjà pré-industrielle mais encore féodale ? Réponse : Woyzeck. Lenz et Danton certainement mais aussi Woyzeck. On peut dire la même chose de Heinrich Mann lequel, un siècle plus tard, nous fit le don de Doktor Unrat (L’ange bleu) à partir du même besoin de témoigner de son temps.

A travers ces deux exemples il apparaît que le rôle d’un écrivain (un écrivain tel Büchner et Heinrich Mann) consiste à donner voie et voix, dans une forme littéraire ou dramatique (non pas à l’esprit d’une époque en général comme nous le croyons peut-être en France) mais à ce qui trouble le peuple dont il partage l’existence et le destin, à ces choses troubles qui échappent à la perspicacité des sociologues, des experts et mêmes des politiciens. Dans ce sens, il appartient à l’écrivain (tel Büchner et Mann) de questionner l’inconscient collectif, là où il est en crise, là où il souffre, dans ses obscurités et ses replis particuliers. Büchner questionne une histoire et non des généralités universelles. Il questionne l’histoire et les particularités incarnées dans le peuple singulier dont il partage le destin (et il y a dans les commentaires, français, sur Woyzeck, que j’ai pu lire ici où là, quelque chose de forcé, cherchant l’universalité là où elle n’est pas).

N’en concluons pas pour autant que Woyzeck manque d’universalité. Certes Woyzeck est avant tout une œuvre allemande, qui met en scène des personnages de l’Allemagne de 1830. Cependant, la pureté et la simplicité extrêmes de cette mise en scène confèrent à l’œuvre et aux personnages une dimension universelle.

L’universel ne tient pas au choix de thèmes et de personnages universels mais à la pureté et à la simplicité avec laquelle sont appréhendés des personnages qui au départ n’ont rien d’universel. Les personnages des Frères Karamazov appartiennent à la Russie profonde, ceux de Carver à l’Amérique profonde. Pourtant les œuvres de Dostoïevski et de Carver sont traduites dans presque toutes les langues et il ne viendrait à l’esprit de personne de dire qu’elles ne sont pas universelles. La pureté et la simplicité rendent « lisibles » à tous ce qui au départ n’était accessible qu’à un petit nombre.

Quel rapport avec la tacite question de l’écrivain français contemporain et de sa place dans la France de ce début du 21ème siècle ? La difficulté et la particularité de son travail nous semblent précisément en rapport avec les considérations ci-dessus et d’une certaine manière, Woyzeck et Unrat apportent un éclairage révélateur.

La société française est en crise. Sa population est vieillissante. Depuis plusieurs décennies déjà elle ne connaît plus le plein emploi et nombreux sont ceux qui vivent dans la précarité voire la misère. Elle est traversée par des tensions générationnelles, urbaines, culturelles voire identitaires, ethniques ou religieuses. Régulièrement grèves, actes de délinquance et conflits sèment le trouble et les déficits publics, chroniques et structurels, ne sont que la traduction financière et budgétaire de syndromes plus profonds lesquels, à l’origine, n’ont rien de financier ni de budgétaire. La société française souffre mais souffre-t-elle comme chaque pays pris dans la tourmente de la globalisation et des défis de l’environnement, ou souffre-t-elle d’une façon qui la caractérise ?        

Qu’elle souffre comme mainte démocratie occidentale prise dans la tourmente de la globalisation (pour autant que ces termes aient un sens) ne fait pas de doute mais il nous semble qu’elle souffre en plus de quelque chose qui lui est particulier. Ce quelque chose, en plus de ce qui est partagé avec les autres, voilà qui nous semble être un objet d’investigation pour l’écrivain, un objet de prédilection. C’est du moins à cet objet pensons-nous que se seraient attelés les Büchner, Dostoïevski ou Carver.

Or à quels thèmes se consacrent les écrivains français ?  En quoi consiste véritablement la production littéraire française ? Existe-t-il seulement une « littérature française » ou, à l'inverse, la production littéraire française se compose-t-elle d’œuvres qui n'ont en commun que d’avoir été écrites en langue française ?

 

 

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Commentaires
S
Votre note de lecture est passionnante. Oui, une oeuvre littéraire révèle par certaines formes la culture dont elle est issue, et en même temps "l'invariant humain" universel.<br /> De formation scientifique, je me suis tourné au milieu de ma vie vers la psychiatrie et la psychanalyse, et j'ai puisé dans une littérature que j'ignorais, plus de finesse d'analyse que pouvaient en apporter Freud, Lacan, et leurs disciples. Le mécanisme de la création artistique, dont la littéraire, s'enracine dans le corporel, dans les sens et les pulsions qui visent à les nourrir.<br /> Je ne peux plus consacrer beaucoup de temps à la lecture, mais parmi les témoins de notre temps, il y en un que je ne rate jamais, Michel Houellebecq. <br /> Mon diagnostic pour la France? Elle souffre d'une division savamment entretenue par ceux qui en profitent, les petits potentats locaux que l'aventureuse décentralisation a portés au pouvoir. Quand on renie l'histoire, quand on refuse d'en voir les ressorts profonds, sous prétexte qu'ils ne sont pas exaltants, ou même, présentables, on sème le doute.<br /> À mon âge, on ne peut plus faire de pronostic.
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