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site de Roland Goeller
9 février 2012

Les français veulent comprendre

Du temps de Clémenceau, Jaurès et Zola, les tribuns s’interpellaient à la Chambre. Le verbe était certes haut, les envolées lyriques parfois, mais le propos circonstancié, pesé, argumenté, développé à la manière d’une dissertation en thèse, antithèse, synthèse. Les sophistes tournaient sept fois la langue dans la bouche avant d’émettre leurs sottises et les journalistes noircissaient page après page, d’une plume à la fois acerbe et affutée.

Le quidam, le gentlemen, le bourgeois, le bougnat ou le prolo (augmentés de leurs alter-ego féminins) suivaient la politique en fouinant dans le Petit Parisien, la Gazette ou l’Ami du Peuple (peut-être en ce temps-là, le journal était encore son ami). Il importait donc de savoir lire et, au-delà, de savoir digérer, selon cette vertu dont Nietzsche déplorait la disparition progressive.

Les tribuns, les journaux et les quidams …, tout le monde prenait son temps. La politique n’était pas affaire d’éclats mais de principes et de valeurs. Le sensationnel était réservé aux Stavisky et autres aigres-fins. Mais tout cela a bien changé !

Les journalistes n’en sont plus à recueillir religieusement, perchés sur des strapontins, les propos des tribuns. Ils «invitent » les politiques sur « le plateau ». Au football on dirait qu’ils « reçoivent à domicile », et le plus nigaud des supporters sait qu’en jouant à domicile, on joue devant « son public ». Mais sur le plateau, le public est caché. Les journalistes savent où mais pas les politiques.

Les journalistes interrogent, questionnent, interpellent, interrompent les hommes politiques, lesquels sont spoliés et du rythme et du thème. Les politiques aimeraient s’adresser aux électeurs et au peuple, mais les journalistes font «écran », car électeurs et peuple se sont transformés en auditeurs.

Un auditeur, ça n’a plus le temps de feuilleter un journal plié en huit et de passer une heure à comprendre ce qu’a voulu faire le ministre. Un auditeur, ça mange, ça boit, ça s’endort, ça bavarde.

Trois minutes, pas plus. Un politique veut-il entrer dans le détail d’une question que déjà le journaliste lui dit : halte là ! Restons simples, brefs, concis. « Les français aimeraient comprendre » argumente le journaliste. Derrière l’écran il y a le professeur agrégé, le comptable, le meccano et le type avec sa bière qui attend le début du match de foot. Le journaliste s’adresse à tous, le dernier en particulier. Si le type avec la bière ne comprend pas, alors il zappe et plouf l’audimat. Aussi le politique est-il prié de s’expliquer de telle sorte que le type à la bibine ne baille pas.

Peu importe la complexité et l’expertise de la question, « les français veulent comprendre », démerdez-vous pour leur expliquer en des termes qu’ils pigent. Peu importe que la perception des mécanismes fiscaux demande Bac+7, le politique est sommé de dire les choses pour que le type à la bibine ne se barre pas.

Depuis le temps que c’est comme ça, les politiques se sont entourés d’une bardée de communicants pour les aider à mettre en « termes simples » des questions dont l’approche est tout simplement complexe. « Les français veulent comprendre » se défendent les journalistes. Ce souci de toucher le plus grand nombre a certes quelque chose de louable, mais la complaisance à manier l’argument réduit la politique à des slogans et la pensée à des lieux communs. Les journalistes formatent la pensée politique pour qu'elle tienne entre deux commentaires sportifs. La fiscalité et le bien public s'éclipsent derrière "les millions à gagner". Tandis que les sociologues analysent le désamour croissant pour la chose politique.

Certaines officines politiques n’en prennent pas ombrage. Elles organisent la politique en duo avec la fête de la musique. Elles trouvent pour leurs fans (pardon: électeurs) des expressions jolies : « la force tranquille », « ré-enchanter le rêve », « sous les pavés la plage » …

La réalité hélas se moque des simplifications cathodiques et finit toujours se rappeler avec force à ceux qu’un audimat de grand nombre a laissé dans l’illusion élective. Peut-être la bêtise s’est-elle installée uniquement parce que les mains, dispensées de tourner les pages des journaux, se sont emparées de la zapette et de la bibine.    

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Commentaires
Y
Françoise Giroud faisait de la presse le "quatrième pouvoir".
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