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site de Roland Goeller
24 avril 2012

Spectacle de l'indignation ou indignation spectaculaire?

Le siècle est avide d’émotion. Qui ne montre son émotion est suspecté de froideur, d’indifférence.

Le siècle est bardé de caméras. Ne pas montrer son émotion devant les caméras, ne pas céder à ce mouvement de compassion qui fait pencher la tête et sourdre une larme au coin de l’œil, cela expose à la plus grande suspicion voire à la culpabilité : si vous n’êtes pas ému (si vous ne MONTREZ pas que vous êtes ému) alors vous êtes de mèche, vous êtes en collusion avec les MECHANTS, responsables de ce qui arrive …

Une caméra peut survenir à tout instant. Il est de la plus extrême importance dès lors qu’elle saisisse les témoignages explicites de votre émotion. Un visage qui resterait grave (et concentré sur l’action), un tel visage passerait pour insensible. Aussi convient-il de donner toutes les preuves de l’émotion qui étreint et de laisser éclater l'indignation, de prendre à témoin la terre entière de l’émotion que nous éprouvons et que, telle une patate chaude, nous ne pouvons garder pour nous-mêmes. Et notre indignation face à la caméra semble dire : «nous n’y sommes pour rien, si cela ne tenait qu’à nous les choses iraient autrement, il n’y aurait pas toute cette misère … ».

L’un des paradoxes de notre époque de sur-communication et de sur-médiatisation est d’augmenter considérablement le nombre des messages implicites. On dit une chose, mais pour en taire trois autres. On alors pour en laisser entendre trois autres. Ainsi de l’indignation qui se montre. Elle dédouane celui qui la porte, avons-nous dit. Mais en même temps elle prend à témoin, elle accuse, elle laisse entendre qu’il y a des individus (loin des caméras) responsables de ce qui a soulevé l’indignation.

La misère des sans-papiers ou des clandestins est réelle : l’exposer médiatiquement sous-entend qu’il y a quelque part une responsabilité, l’Etat par exemple, l’Etat et son gouvernement (surtout s’il est de droite) qui n’auraient pas pris les mesures appropriées pour empêcher cela …

Or l’indignation, la vraie, celle qui nourrit l’action, cette indignation-là ne se montre pas. Indignée et pleine de compassion, mère Thérésa travaillait pendant 4 décennies, obscurément, peu soucieuse de renommée, avant que les caméras ne s’intéressent à elle. A l’inverse, le seul sac de riz qu’aura porté ce célèbre médecin français (dont le nom m’échappe mais que chacun aura reconnu) était celui que les caméras immortalisèrent.

Donner son indignation en spectacle, ou se donner en spectacle dans le comble de l’indignation, cela cache une forme de perversité. Celui qui dénonce, d’une certaine manière, s’en lave les mains. Il a dénoncé, aux autres d’agir ! Le spectacle dédouane de l’action tout en donnant le sentiment d’agir.

Et bien souvent celui qui s’indigne médiatiquement « supporte » bien mieux le spectacle de la misère. Il parade devant les caméras, agite bras et jambes, lance des imprécations à tout va, accuse tel le Zola de l’affaire Dreyfuss, puis s’en retourne chez lui, laissant les miséreux à leur misère. (Encore une fois, toute personne indignée n’a pas forcément le souci de sa propre publicité, heureusement ; la grande majorité transforme son  indignation en générosité, mais le petit club select des professionnels de l’indignation sait détourner les médias à son profit, mettre en valeur l’action des autres voire s’en attribuer le mérite et s’adjuger ainsi une exceptionnelle rente de situation).  

Une question se pose : la société du spectacle indigné (ou de l’indignation spectaculaire) résulte-t-elle d’une abondance d’hommes prompts au spectacle ou, à l’inverse, résulte-t-elle de l’abondance de médias disponibles pour les hommes de spectacle ? Je ne conclurai pas sans inviter à distinguer les impostures derrière les postures. L’indignation reste muette, elle ne se soulage pas dans un débordement d’émotion mais dans l’action. L’indignation véritable fonctionne comme la poésie, de laquelle le grand poète anglais TS Eliott disait qu’elle « ne consiste pas à lâcher la bonde aux émotions, mais à échapper à l’émotion ». 

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