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site de Roland Goeller
6 janvier 2013

Mo Yan ou Cervantès en Chine

A propos du livre : « la carte au trésor »yo_man_carte_aux_tr_sors

Prix Nobel de littérature 2012

 

Dans une ville chinoise non nommée, mais que l’on devine gigantesque et pourvue de tous les attributs de n’importe quelle ville moderne au monde, le narrateur croise la route d’un ami d’enfance, son « vieux pote ». Pour des raisons restées obscures, celui-ci décide de quitter sa province natale et de retrouver le narrateur, dont in fine on sait peu de choses, sauf qu’il a toutes les apparences d’un cadre moyen et qu’il dispose de trésors de patience. En dehors de fournir une partie du récit, les mésaventures du « vieux pote » conduisent ce dernier à se présenter en gueux devant le narrateur, lequel ne songe dès lors qu’à la meilleure façon de s’en débarrasser.

Il n’en trouve pas d’autre que de l’inviter à déjeuner dans un restaurant de raviolis et de subir sa conversation volubile, où se mêlent brèves de comptoir et histoire tirées de l’imaginaire populaire chinois, tandis que les restaurateurs font état de leur savoir-faire ancestral acquis au temps de l’impératrice Cixi et servent des raviolis rendus succulents par la présence fabuleuse de moustaches de tigres.

 

Pas une seule part de vrai

L’intrigue de la « Carte du trésor » tient en ces quelques lignes et on veut bien croire Mo Yan, dont le livre commence par un avertissement : « Cette histoire, du début à la fin, ne contient qu’une seule parole vraie, cette histoire du début à la fin ne contient pas une seule part de vrai ». On croirait entendre le Cervantès du Quichotte ou le Sterne de Tristram Shandy.

C’est que Mo Yan est un passeur, aux prises avec une matière aussi dense que celle des Mille et une nuits ou de la Chanson de Roland. Mais Mo Yan est aussi un homme de la modernité chinoise confronté à un vrai casse-tête : quelle forme donner à un récit immémorial et encore vivant dans une modernité investie d’octets et de rutilantes automobiles ?

Sans doute Cervantès fut-il confronté à un défi semblable lorsqu’il voulut déconstruire le récit des épopées chevaleresques qui empêchait le Moyen Age finissant d’entrer dans les temps modernes. Mo Yan a peut-être lu Cervantès. Peut-être aussi Diderot dont Jacques le fataliste et son maître tiennent une conversation de même teneur. La Chine du XXIème siècle opère la mutation que l’Europe entreprit dès le XVIème. A cinq siècles d’écart, le narrateur qui écoute les balivernes de son « vieux pote » fait écho à Sancho Pança qui prêta oreille à celles de Quichotte.

 

Un imaginaire imprégné de maximes confucéennes et de vénération impériale

Il n’a pas manqué en Occident d’intellectuels et de journalistes pour accuser Mo Yan d’être un suppôt du régime capitalo-communiste chinois et de cautionner par son silence les atteintes aux droits de l’homme dont ce régime se rendrait coupable. Pourtant, le récit désopilant et truculent que le narrateur recueille auprès de son ami d’enfance contient peu d’allusions à la période maoïste, comme si la révolution culturelle n’avait presque pas modifié le substrat imaginaire chinois et n’avait pas vraiment préparé les esprits aux conséquences de la révolution industrielle et technologique. Du reste, Mo Yan est un pseudonyme dont curieusement la traduction signifie « ne pas parler ».

Il ne faut pas pour autant croire Mo Yan complice de tout ce qu’il ne fait pas profession de dénoncer. Son but est autre. Il est de rendre compte de son temps. De livrer un récit qui rend compte des bouleversements profonds que ce temps opère dans l’imaginaire chinois, encore pétri d’épopée moyenâgeuse, de maximes confucéennes et de vénération impériale. Sans doute son œuvre prépare-t-elle bien mieux les esprits à la transition vers la modernité tolérante que les sempiternelles rodomontades d’intellectuels qui se croient encore légitimes pour asséner leurs « Lumières » à un monde qui n’en a nul besoin et semble très bien vivre avec les siennes. 

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