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site de Roland Goeller
23 août 2014

La tenace illusion de la fin du travail

 

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L’opinion publique est composée d’un petit nombre de prescripteurs et d’un grand nombre de consommateurs qui se dirigent vers les étals idéologiques correspondant à leurs « valeurs ». Les prescripteurs se répartissent en chapelles et se caractérisent par une propension à émettre des opinions assorties d’argumentaires sous forme d’éléments de langage. Les prescripteurs sont eux-mêmes relayés par un appareil médiatique qui prétend « rendre compte avec objectivité », mais qui en réalité fabrique le récit médiatique en fonction de ses propres opinions, lesquelles apparaissent non dans ses propos – souvent authentifiés – mais dans le fait de rendre compte de certains propos au détriment d’autres.

En ce qui concerne la question du travail, les prescripteurs d’opinion français sont, dans leur grande majorité, encore et toujours convaincus du bien-fondé de son partage et de l'avènement des « 35 heures » comme une d'une opportunité. Dans son émission « L’esprit public » (France Culture le 19 juillet dernier) Philippe Meyer donne la parole à Dominique Méda, philosophe et sociologue. L’émission traite de la « fin de la croissance ». Dominique Méda fait un lien entre l’impérieuse révolution environnementale, la fin de la croissance et le partage du temps de travail, qu’elle continue d’appeler de ses vœux. Elle n’est pas économiste et un contradicteur lui rappelle qu’il y a peut-être un lien entre le temps de travail et la compétitivité.  « On ne peut pas totalement faire abstraction de la compétition –réelle- avec la Chine, les pays émergeants », avance-t-il.  Dominique Méda entend cela, mais ne sait qu’en faire, elle est sociologue et philosophe. A ses yeux, il est essentiel de « Réduire la place du travail dans nos vies, pour mieux le distribuer et le répartir, mais aussi parce que nous avons tous d’autres activités, politiques, culturelles et citoyennes » ! 

Il y a quelques années, elle a publié un livre au titre provocateur : « Le travail, une valeur en voie de disparition ». C’était en 1995 et la philosophe ne revendique aucune « filiation politique ». Elle appartient à un courant de pensée qui a fait florès dès les années quatre-vingt et dont elle est peut-être l’une des représentantes les plus émérites. Son livre a trouvé un public. Le système éducatif français a du reste produit nombre de sociologues et de philosophes, lesquels se sont empressés de divulguer ex-cathedra les théories de Rifkin sur la troisième révolution industrielle et la fin du travail. Il est vrai que Mai 68 venait d’avoir lieu. Pour un économiste « libéral » qui a contrario osait suggérer que la compétitivité était peut-être en corrélation directe avec le poids du travail, mille « abolitionnistes » rifkiniens se levaient et l’admonestaient de leurs citations. Il était alors de notoriété publique que la productivité résulterait, non plus du travail, mais de la mise en œuvre de technologies nouvelles. Martine Aubry eut beau jeu d’imposer – en 2000, à la fin des années Jospin – ce qui faisait consensus à Paris-Dauphine et dans toutes les garden-parties branchées.

Mais d'économie, il n’est pas une seule fois question dans les propos de Dominique Méda, pour qui le virage des 35 heures est « acquis ». Encore moins de critique envers un Rifkin aujourd'hui considéré comme un utopiste. Le ton général de "l"esprit public", la tranquille certitude de la philosophe et les timides objections de son contradicteur, me laissent penser que les lignes ont très peu bougé et que le débat est loin d’être clos. Les « abolitionnistes » ont de beaux jours devant eux, nous les avons vus à l’œuvre récemment encore. Les crises de 2008 et 2010 ne les ont en rien découragés, ils continuent de recommander cela-même par quoi notre malheur arrive, au nom de la « qualité de vie, de l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, voire de l’égalité des hommes et des femmes ». Nul ne récuse ces objectifs, les libéraux encore moins que les « abolitionnistes », mais l’économie a ses règles propres, et Rifkin a eu son heure de gloire. Aussi, de deux choses l’une, lorsque la Chine inonde l’Occident de produits à faible valeur ajoutée, la partie de l’Occident qu’elle concurrence doit, ou fermer hermétiquement ses frontières, ou réviser ses a priori sur la fin du travail !

 

 

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