En haine de la culture

Sans doute n'y a-t-il pas de plus grande illusion que de vouloir acquérir de la culture en un tour de main, un clique de souris ou encore un téléchargement de contenu virtuel. Comme si la culture était désormais accessible sans effort ou sans mérite. Comme si nous en avions enfin terminé avec les patientes gammes de solfège qui permettent à des pianistes en culottes courtes d'espérer, vingt ans plus tard, grimper sur une scène pour interpréter, avec maîtrise retenue, uns sonate de JS Bach !

Il est vrai qu'aujourd'hui l'électronique, le numérique, l'informatique, l'acoustique, le médiatique et tous les autres disciplines x-tiques permettent au premier venu bien de sa personne, photogénique et pourvu d'un brin de talent, d'accéder au TOP50 des meilleures ventes de CD. De même, les x-tiques et les contenus numérisés autorisent les directeurs de ressources humaines à confier des postes d'experts en urbanisme à des cadres de maintenance, et, au nom de la transversalité, de nommer à la tête de la HALDE un ancien PDG d'une multinationale d'automobiles.

Mélanger les genres revient en fin de compte à prendre les vessies pour des lanternes, dont on demandera aux communiquants de soigner l'image et contenir voire gommer les débordements. La drôlerie et la dérision remplacent dès lors la compétence. Aux Sarah Bernard et Victorien Sardou qui incarnaient jusqu'à l'excès les rôles de Phèdre et d'Othello, succèdent les parachutés qui récitent des éléments de langage et les petits talents dont les studios d'enregistrement corrigent les intonations voilées. L'excellence n'est plus une quête personnelle mais une recommandation. La qualité des biens et des services s'en ressent cruellement. Des bataillons de qualiticiens bardés de chartes tentent vainement de comprendre la perte de qualité chez des intervenants qui n'ont pas appris leurs rôles, dirigés par des managers aussi nus que des souffleurs qui auraient oublié leurs textes.

Car la culture est avant tout un état d'esprit harmonieux où connaissances, références et savoir-faire s'organisent en un ballet semblable à celui des électrons d'un atome de rang élevé dans la classification de Mendéléev. Mais nul accès direct à ces hauteurs sauf peut-être pour quelques comètes tels Mozart, Moussorgsky ou Rimbaud. Pour les autres c'est une question d'ordre, de méthode, de rigueur, de discipline et de travail, cinq clavicules que mon professeur de mathématiques inscrivit à la craie blanche au tableau noir, dans un silence assourdissant, au début de la première heure du cours de mathématiques supérieures. Nulle pensée magique (Harry Potter, Batman) et nul téléchargement ne permettent d'y accéder.

En un sens, fanatiques et terroristes sont avant tout les enfants de notre moderité technologique et numérique, imperméables aux catégories de la pensée complexe, dans la confusion du profane et du sacré, de l'immédiat et du lointain, les enfants d'une modernité qui donne l'illusion de pouvoir accéder immédiatement aux subtilités de livres inspirés (tels la Bible et le Coran) que les pasteurs, rabbins, prêtres ou imams mettent parfois une vie entière à comprendre.

illustration: Untiteld du peintre Mark Rothko