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site de Roland Goeller
25 août 2016

Progressiste

une tentative de constitution d'abécédaire, en réponse à la suggestion d'un ami. Au départ, les articles devaient être courts et laconiques. A l'évidence, l'auscultation du thème du progressisme ne tenait pas dans les 140 signes d'un tweet!

 

 

 

vasarely

"Progresser ne consiste pas à être progressiste mais à faire des progrès". (Bertold Brecht)

Les progressistes n'ont commencé à apparaître véritablement qu'après la Révolution Française. La monarchie était dépeinte comme archaïque et inadaptée aux changements qui s'annonçaient et, dès lors, il suffisait d'en changer, d'aller de l'avant. Que cet avant soit situé devant, derrière ou sur les côtés, peu importe, l'essentiel était de mettre un pied devant l'autre. Le progressiste s'est donné du courage avec des formules frappées soi-disant au coin du bon sens: "demain est un autre jour", "qui n'avance pas recule", etc. Bref, il suffisait d'avancer, la raison d'avancer apparaitrait en avançant et il n'a pas manqué de bavards pour en produire les éléments de langage. Les progressistes ont de surcroît une propension au bavardage. Ils se définissent comme dépourvus de nostalgie, à l'opposé des conservateurs qu'ils caricaturent volontiers en benêts ânonnant "qu'avant c'était mieux". Pour les progressistes, "c'est (toujours) mieux demain". Ils ne sont pas très loin de Hegel et de ses "lendemains qui chantent" ou de sa "table rase" historique, quoiqu'ils se soient rapidement tournés vers son disciple le plus obtus, à savoir Marx.

Ainsi, le progressiste s'écrie-t-il volontiers : "Allons-y, nous verrons bien comment !", tandis que le conservateur, prudent, objecterait: "Vers quoi sommes-nous appelés? Quel est le tableau de nos ressources et quelles étapes, raisonnables, nous permet-il d'atteindre?"

L'homme de progrès véritable, c'est le conservateur, n'en déplaise, le conservateur prudent et avisé qui se soucie de l'intendance, laquelle ne suit pas forcément toujours. Mais c'est le progressiste que l'esprit de l'époque présente comme l'homme idéal, surtout depuis la Révolution, tandis que son alter-ego, le conservateur, se voit villipendé en réactionnaire, voire vichyste ou fachiste, paradigme d'autant plus surprenant que nombre de progressistes actuels sont les fils et petit-fils de vichystes collabos mouillés jusqu'au cou. Rappelons-nous, de Gaulle disait: "au plus fort de l'action, nous étions 90 000". Où étaient les autres? De même, tandis que Paul Nizan s'engageait, corps et âme, dans le mouvement communiste, son condisciple normalien Sartre restait sur les gradins de l'histoire. A peine a-t-il consenti à prendre quelques tours de garde en aout 44, lorsque le gros des coups de feu était passé, ce que son rival Camus n'a pas manqué de relever non sans ironie: "Alors, tu places ta chaise dans le sens de l'histoire".

Dieu étant mort, du reste, le tortueux chemin de la dialectique s'ouvre au progressiste dispensé de dire la vérité (laquelle n'existe plus) au contraire d'un Mazarin qui, lorsqu'il se voyait contraint de recourir au cynisme de la raison d'Etat, se soumettait a posteriori à une longue pénitence. Mais point de pénitence pour qui la fin justifie les moyens, pleinement et sans vergogne (encore un mot rayé dans le vocabulaire progressiste). Point d'état d'âme, il suffit de fixer le cap (lequel se dérobe au regard aussi sûrement que la ligne d'horizon) et de mettre les appareils en branle, d'inféoder les ressources au fonctionnement des appareils dont la performance augmente avec les technostructres et les techniques de communication en lesquelles les progressistes excellent: puisqu'on y va (sans savoir où), autant y aller gaiement et raconter l'histoire qui convient, dérouler le fil narratif qui ne retient du réel que ce qui étaye le cheminement. Il est à noter que les conservateurs, les traditionnalistes et les réacs de tous poils ne vont "nulle part". Ils se contentent d'obéir à la parole qui leur a été transmise par leurs pères. Ils savent que "bien nommer les choses" consiste à les nommer comme firent les pères. "Je maintiendrai", selon la devise de la maison d'Orange-Nassau. Pour un progressiste, au contraire, il n'y a rien à maintenir. Transmission, héritage, lignée, etc, sont des concepts qui écorchent sa sensibilité et les René Char, Heidegger, Hölderlin ou encore Héraclite comptent parmi les phares qu'il évite d'approcher. Le progressisme élevé au rang de système de pensée a peu à peu pris la place de la tradition, de l'héritage, du rituel, de la religion, peut-être même du sacré, et la réduction ad unum de tant de champs donne la mesure de sa prétention (affichée en ambition, toute vergogne écartée) et de son insignifiance.  

Blasphème. Dieu étant mort, la notion même de blasphème est abolie; cependant les audaces (artistiques, sémantiques, philosophiques) ne sont que transgressions. Le progressiste aime transgresser, il a fabriqué tout un vocabulaire ésotérique pour celà: mouvances, champs pluriels, expérimentations, hors-champ, déambulations ... Dieu étant mort, tout est permis, jusqu'au blasphème. Avec "Piss-Christ", un certain Serrano expose en Avignon un crucifix trempé dans de l'urine. A Paris, place de Valois, un autre certain McCarthy expose des plugs anals géants qu'il intitule "sapins de noël". Les progressistes se pâment et en redemandent. Une certaine ministre de la culture, benoîte et fâchée avec les livres, accuse les catholiques offensés de vouloir dresser des "listes d'art dégénéré".

Egalité et genre. Dieu est mort et les hiérarchies appuyées sur les théocracies s'effondrent. La nature a crée des différences, des hiérarchies, de la dicrimination, de la violence, des forts et des faibles et des sexes. Qu'à cela ne tienne, revoquons la nature, cet artefact divin. Le progressiste ne recherche pas les généralités mais les minorités, de préférence opprimées. Du colonialisme, il ne reste que l'oppression à grande échelle exercée par les occidentaux, coupables jusqu'à la fin des temps et comdamnés à un éternel repentir. Des sexes, il ne reste que le genre, masculin-féminin, parfaitement culturel et réversible. Les petites filles joueront au camion et les petits graçons aux poupées, dut-on les contraindre. Quant aux familles et aux nations ... Le progressite recherche l'égalité à tous prix, homme-femme, autochtone-immigré, culture millénaire-culture exotique, valide-handicapé (rebaptisé en PMR), etc. La loi ne saurait garantir l'égalité que des droits, mais le progressiste veut plus, il veut aussi l'égalité des conditions. Que la loi corrige ces inégalités que la nature a si imprudemment répandues! "Il faut en finir une bonne fois pour toutes avec cet intolérable atavisme des familles" s'écrie un ancien ministre de l'éducation. Dans les banlieues présentées ad nauseam comme des zones d'exclusion sont injectés des milliards d'argent public censé corriger les inégalités. Les concours d'accès aux grandes écoles comportent des quotas réservés aux quartiers défavorisés.  Le système de notation est assoupli pour ne pas stigmatiser. Mais pas un instant, il ne viendrait à l'idée du progressiste de demander une contrepartie, un effort. "Aide-toi et le ciel t'aidera", dit le livre des Proverbes, mais il est vrai que l'Ancien Testament n'est plus une référence certifiée.

Management et compétences. L'homme, c'est d'abord un métier. Tailleur de pierres, typographe, éleveur, boulanger, métallo ..., chroniqueur, écrivain. Mais l'entreprise moderne new-look in-the-move tourne le dos à ces vieilles lunes. Les métiers, ce sont des savoir-faire, des transmissions, des parainages, des corporations voire des initiations. Les métiers, c'est compliqué pour qui n'a pas la patience des chemins d'initiation. L'organisation traditionnelle était subordonnée aux exigences des métiers, ce qui supposait des dirigeants polyvalents, capables de dialoguer avec les hommes du métier. Point de cela dans nos entreprises modernes, l'organisation tourne désormais autour des produits et des clients, l'homme de métier est relégué au rang de fournisseur de compétences que le gestionnaire mobilise en tant que de besoin. Les corporations et castes au sein desquels les compétences se tranmettaient par apprentissage disparaissent, les compétences sont désormais téléchargeables en trois cliques. Des bataillons d'informaticiens modélisent des applications censées transmettre le savoir-faire. Et lorsque les constructions nouvelles se fissurent, les ponts s'effondrent et les trains déraillent, les gestionnaires organisent des retours d'expérience, disculpés par définition et par avance de la médiocrité qu'ils ont organisés. Il y a désormais entre le client et le maître d'oeuvre un troisième larron: le gestionnaire qui prétend organiser les marchés et tire à la fois les ficelles et les marrons du feu. 

A tout bien prendre, le progressiste est cet homme révolté - apprenti sorcier - qui ne sait pas qu'en tuant Dieu, il brise aussi toute référence sacrée. Mais le mot de la fin appartient à Albert Camus lequel a conclu ainsi son discours de réception à l'académie Nobel (1957) par cette phrase: "Chaque génération sans doute se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse".

 

illustration: Vasarely

 

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