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site de Roland Goeller
12 août 2018

Bonjour facteur !

 

facteurLe cadre de vélo reste jaune, mais tous les accessoires respirent désormais la modernité fonctionnelle et clinquante : rétroviseurs, stabilisateurs, batterie d'alimentation de la propulsion électrique. Combien doit peser cet engin entre les mains du facteur, lesté de plusieurs sacoches règlementaires de courriers et petits colis ? Le facteur le hisse avec peine sur le trottoir dépourvu de bateau à quai, il pourra ainsi longer les boîtes aux lettres sans devoir mettre pied à terre. Et que d'archaïsme dans le geste de soulever les rabats ou d'appuyer sur les volets pour glisser les lettres dans la fente. Les grandes enveloppes n'y entrent que pliées en deux et, malgré cela, elles se déchirent aux bords. Les technocrates qui optimisent les systèmes de distribution postale s'arrachent les cheveux à l'examen des ratios et des coûts unitaires. Combien de temps devra-t-on encore envoyer à travers les villes ces cohortes de facteurs cyclopédiques qui cheminent tels des escargots aux boussoles instables ? Sans parler des zones rurales où les coûts explosent ! A l'heure de la messagerie virtuelle et des boîtes aux lettres électroniques, cette façon de faire est d'un autre temps, celui des dynosaures. La réalité du facteur reste à la lisière des bureaux paysagers où prospèrent notes de service, powerpoints foliculaires et reportings accélérés, sous l'œil aspetisé de techniciens armés de patience à durée limitée et de procédures mises en qualité. Ces derniers manipulent des leviers dont ils ne voient pas les aboutissants et s'étonnent que, parfois, les individus accrochés à leurs extrémités manifestent quelques mouvements d'humeur. « Bonjour facteur ! » dit une octogénaire chenue qui a guetté son passage. Elle prend la carte postale qu'il lui remet. « Il n'y a que cela aujourd'hui – C'est déjà beaucoup », songe-t-elle. La carte vient de Bangkok et représente un de ces temples khmers à la dentelle de pierre. Elle a passé de main en main, de rikshaw en soute d'aéronef, de trieuse en sacoche. Elle est affranchie avec un timbre extravagant qui vaut à peine deux euros, mais l'octogénaire la hume. Elle la tourne et la retourne comme si, au-delà des quelques mots griffonés dessus, la carte avait d'invraisemblables secrets à livrer. « Mes petits-enfants ! », dit-elle, la prunelle soudain remplie d'une lumière qui mourra avec la lenteur d'une braise tenace. Le facteur la salue d'un geste de la main, demain peut-être n'en aura-t-il plus l'autorisation.

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