Un Nobel pour Peter Handke
A peine le prix est-il attribué et déjà, en ouvrant un quelconque des médias censés nous informer, se déverse à nos pieds un tombereau d’indignations et d’insultes à l’encontre du récipiendaire Peter Handke ! Mis en cause et honni pour d’anciennes sympathies pro-serbes ! Et soudain, à en croire ses détracteurs, tout Handke se résume à ces quelques sympathies, de même que tout Céline se résume à Bagatelles, raisons suffisantes pour ces nouveaux censeurs d’écarter définitivement ces auteurs de leurs bibliothèques. Pour paraphraser Hamlet, il y a quelque chose de pourri dans le royaume des lettres, français. Elles sont aux mains d’une sorte de cloud de personnes, en nombre suffisant pour donner le ton et définir le main stream, qui passent leur temps à vérifier que toute expression est conforme aux standards en cours et, par-dessus tout, craignent d’être accusés de tiédeur et de défaut de vigilance par leurs condisciples. Savent-ils qu’ainsi ils s’interdisent l’accès à des trésors ? Pendant ce temps, Peter Handke « parle » à ceux qui ont appris à l’entendre…
En ce qui me concerne, je salue plus particulièrement La nuit morave et Toujours la tempête, dont un extrait a été placé en frontispice de mon livre Cahiers français ou la langue confisquée. Le voici : « Et que vois-je, moi, l’homme âgé ? Ma toute jeune mère, celle de mille neuf cent trente-six, qui s’en revient seule, et me jette ces paroles au visage : « Arrête donc de crier. Bien sûr, que nous resterons avec toi, que vas-tu t’imaginer ? Ne sais-tu pas que nous resterons avec toi jusqu’à la fin des jours, et peut-être même au-delà, crétin que tu es ? Nous sommes tous faits ainsi, et c’est bien le jeu d’ici. Mais toi, mon fils, es-tu resté avec nous ? Resteras-tu avec nous ? N‘as-tu pas toujours voulu te défaire de nous ? Te débarrasser de nous ? Alors reste avec nous, toi. N’as-tu pas encore remarqué que tu n’avais d’autre choix, le fugitif des vergers ? Que nous te guidons, que tu le veuilles ou non ? Que c’est nous qui te déterminons, et pas seulement, comme tu l’as cru parfois, pour ton malheur, clampin ? Reste avec nous, car tu es fait ainsi, et tels seront tes fruits. Et tel est ton jeu, celui que tu es libre de jouer. Tu n’as pas le choix, d’ailleurs, c’est ton seul jeu, depuis toujours, ton seul projet. Reste avec nous, fils » »
Le prix Nobel de littérature a été attribué à Peter Handke et Olga Tokarczuk. Ne connaissant pas cette dernière, je ne suis pas légitime pour en parler (mais pour apprendre).
crédit photo le temps.ch