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1 juin 2020

Elfriede Jelinek, La Pianiste

jelinek elfriede

Elfriede Jelinek_La pianiste_Die Klavierspielerin_1983_Rohwolt Verlag

Une mère et une fille dans la Vienne des années quatre-vingt. Deux personnages et deux corps mais si étroitement reliés qu’ils n’en forment qu’un seul, sœurs siamoises dont l’une, l’ainée, ne cesse de surveiller et guider l’autre, la cadette, la moins fiable, la pianiste, ou plutôt la professeur de piano, madame la professeur Erika Kohut, célibataire déjà proche de la quarantaine, car, professeur malgré une haute exigence envers la musique - Schubert, Brahms - il lui manque l’étincelle qui ferait d’elle une concertiste -, il faut la tenir dans les clous, empêcher cette cadette de se livrer à tout bout de champ à des achats compulsionnels de robes et de vêtements qu’elle ne porte jamais ou alors lorsqu’ils sont démodés, entamant sans vergogne le capital commun que l’ainée, celle qui veille au grain et à la rectitude des jours, entend consacrer à l’achat d’un appartement plus digne de l’idée qu’elle se fait de leur rang, celle qui a conduit le mari et père à l’hospice où il ne dérangera plus et veille à tenir éloignée toute présence masculine tentatrice qui détournerait sa fille, la pianiste, de son sacerdoce musical, cette fille qui certes a une chambre dans l’appartement débarrassé d’hommes mais qui dort dans le lit maternel, telle une petite fille qu’il faut protéger des démons, ceux qu’elle fréquente en grand secret lorsqu’elle espionne un couple en ébats dans les sous-bois du Prater ou fréquente des sex-shop où se produisent des effeuilleuses. Mais voilà que s’approche l’élève Walter Klemmer, musicien et sportif, lequel fait une cour assidue à madame la professeur, par vanité peut-être, laquelle finit par consentir mais à quoi, à une autre vassalité…  « …Erika n’était venue au monde qu’après bien des années d’une vie conjugale difficile. Aussitôt le père avait transmis le flambeau à sa fille et quitté la scène. Erika apparut, le père disparut. () Inquisiteur et peloton d’exécution en une seule personne qu’État et famille reconnaissent comme la mère. () Dans cet appartement flambant neuf… chacune a son royaume. Erika ici, la mère là, deux royaumes séparés. Mais il y aura quand même un salon commun où l’on pourra se rencontrer. Si on veut. Et mère et enfant veulent toujours-en vertu des lois naturelles car les deux font la paire. () Erika a son propre royaume… provisoire, car à tout instant la mère y a ses entrées. Aucune serrure à la porte d’Erika, aucun enfant n’a de secret. » La biographie d’Elfriede Jelinek, née en 1946 en Styrie (Steiermark), résidant à Vienne, études d’art dramatique et de musique, prix Nobel de Littérature en 2004 pour son œuvre singulière, mentionne une mère autoritaire dont s’inspirent sans doute les traits de Mme Kohut, ainsi qu’un complexe mère-fille aussi inextricable qu’un nœud gordien. La pianiste est un roman d’une forme d’horreur et d’abjection qui met en scène des personnages appartenant au monde de la musique, laquelle fournit les portées et le rythme, sans possibilité cependant de révocation ou d’atténuation. On ne peut s’empêcher de songer aux orchestres de fortune qui jouaient dans les camps, lorsque les convois… Le roman fascine et scandalise comme une réalité insoutenable dont il faut tout de même soutenir la vue. Les personnages n’ont d’autre psychologie que celle d’artefacts chargés de jouer la comédie et déclamer des répliques écrites d’avance. Le roman, plus qu’ailleurs, se prolonge dans le retentissement auprès de son public lequel ne peut s’empêcher de le dévorer, scandale et fascination, trouvant sous ses tapis les mêmes poussières que dans la maison Kohut. Ce roman fait partie de ceux pour lesquels il y a un en-dehors, d’où son retentissement auprès du lectorat. Jelinek laisse courir sa plume lucide, ravageuse, ironique, expressionniste, acceptant de grimacer puisque l’époque grimace. Sait-elle qu’elle donne sa voix à la mauvaise conscience autrichienne ? Elle sait. 

 

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