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site de Roland Goeller
11 septembre 2020

Au-dessous des volcans, Malcolm Lowry

malcolm lowry

Roman foisonnant et flamboyant dont l’action se déroule dans l’ombre de deux volcans mexicains, le Popocatepetl et l’Ixtaccihuatl, région où vécut Lowry pendant quelques années. L’instant court sur un laps de temps très bref, une journée, le retour après un an d’absence d’Yvonne l’enchanteresse à Quauhnahuac, auprès de son mari Geoffrey Firmin dit le Consul (d’Angleterre), et leur arrivée à Tomalin, où se noue le drame. Et pourtant que d’événements et d’évocations dans ce texte, fleuve, qui, par sa forme et sa construction, n’est pas sans rappeler la Crucifixion en rose (Henry Miller) ou Le Quatuor d’Alexandrie (Laurence Durrell) ou encore Cent ans de solitude (GG Marquez). Roman sombre et, souvent, inaudible, tel un discours d’ivrogne lorsqu’il s’approche des confins du delirium tremens, cependant aussi fascinant qu’une danse de derviche tourneur, dont l’esprit végète lorsqu’il est au repos mais prend son envol dans l’énergie cinétique de la rotation. Maintes fois fus-je tenté d’en abandonner la lecture (par dépit de ne pas voir surgir, dans la profusion du texte, le sentier, mais peut-être le sentier est-il partout et nulle part, comme au sein d’une forêt vierge où il se dégage à coups de machette, selon une direction connue seulement de celui qui avance) et maintes fois fus-je rattrapé par la lancinante mélopée polyphonique de Lowry et de ses personnages, auxquels il n’accorde la parole que pour mieux la reprendre et se lancer dans le récit de leurs vies, de leurs aventures, de leurs épreuves, vies auxquelles il demande d’incarner quelque chose qui les dépasse, peut-être une partie du cycle cosmique (la roue Ferris ?). Où Lowry nous conduit-il ? Le sait-il seulement lui-même ? A bien des égards, le romancier se projette dans le personnage du Consul, éthylique comme il le fut lui-même, d’un éthylisme incurable, errant tel un naufragé le long des instants de lucidité dont le tranchant, insoutenable, le pousse vers une autre bouteille, un autre verre. « Ne peux-tu donc penser à rien, si ce n’est au nombre de verres que tu vas boire ? », lui lance Yvonne en un cri de désespoir. « Il entendait Jacques aller et venir au rez-de-chaussée et il allait bientôt pouvoir boire. Cela irait mieux, mais ce n’était pas cette pensée qui le calmait. » En prenant connaissance de la biographie de Lowry (né à New-Brighton, Angleterre, 1909, mort dans le Sussex en 1957), on notera certes un fort penchant pour l’ésotérisme (confinant au mysticisme) mais aussi la signature de l’éthylisme qui, telle une épée de Damoclès, lui vaudra un divorce, des périodes de profonde dépression voire d’internement, des difficultés aves les autorités mexicaines et, en toile de fond, l’injonction d’accomplir son œuvre pendant les trop brefs et trop rares instants d’accalmie qui le voient travailler comme un forçat, au four et au moulin, contraignant le texte à « exprimer six choses à la fois au lieu de les aligner les unes après les autres : « Dans ces longues périodes riches en parenthèses, comme des boîtes renfermant d’autres boîtes… c’est la mémoire surtout qui est mise à contribution, alors que l’entendement et le jugement aussi devraient être appelés à l’œuvre. » »

            Œuvre ésotérique, inspirée par la Kabale (construction circulaire, multiplication des symboles, dualité des âmes invincibles dans l’unité mais déliquescentes dans la séparation, chapitres au nombre de douze tels les sephirots…) s’exclame, parmi d’autres inconditionnels, un Max-Pol-Fouchet, lequel crie au génie. Il est vrai que les personnages masculins tournent autour d’Yvonne tels des phalènes autour d’une source de lumière, sans jamais s’en approcher, et le récit lui-même n’ose la décrire que par évocations, tant sa beauté fascinante semble ineffable. « Yvonne, ou quelque simulacre d’elle tissé des fils du passé, travaillait au jardin apparemment vêtue, à cette faible distance, tout entière de soleil. Elle se dressait maintenant – en un pantalon jaune – et protégeant ses yeux d’une main, lorgnait de son côté. », s’exclame Hugh au début du chapitre IV. « Hugh se plaisait à voir Yvonne monter à la cow-boy, collée à la selle et non, selon l’expression de Juan Cerillo, comme dans les jardins… Il s’imagina leur couple en train d’atteindre en trottant des dimensions énormes, au foyer des jumelles fureteuses, là-haut sur le tour du guet : « Guappa », dirait un policier. « Ah muy hermosa », s’écrierait peut-être un autre, ravi par Yvonne, s’en léchant les babines. » Il y a Geoffrey Firmin dit le Consul dont le destin aurait été scellé par un crime infâme commis pendant la guerre. Il y a Hugh Firmin, son demi-frère, journaliste musicien globe-trotter couvrant la guerre d’Espagne (dont les échos ne cessent de hanter les monologues à la fois de Hugh et Firmin) et qui n’est pas sans rappeler Hemingway. Il y a Jacques Laruelle, producteur de cinéma, ancien amant d’Yvonne. Tour à tour, le roman leur donne la parole en un récit où, sans cesse, ressurgissent des lambeaux de passé tels des objets mal empilés dans une armoire, et qui finit par ressembler à une sorte de delirium labyrinthique. Lowry semble avoir été conscient de cette obscurité de son roman, du reste il livre dans une préface les clés de lecture que la lecture seule semble ne pas pouvoir dégager. Under the volcano est une descente aux enfers qui ne dit pas son nom. Dante a fait de la sienne un poème épique. Et, de même, les soliloques des personnages de Lowry semblent échapper à tout ressort psychologique vraisemblable, ils interviennent dans le récit selon un autre canevas lequel porte le dessein de l’auteur. Tel le personnage de Geoffrey dont on apprend qu’il travaille à un roman (ésotérique ?), dont le lecteur cependant ne lira pas une ligne, Lowry veut rentrer dans les formes du roman une longue mélopée qui pourtant s’en échappe sans cesse et dont, paradoxalement, les moments les plus éblouissants se réfugient dans les désordres de l’esprit en proie à l’éthylisme. Under the volcano, poème épique enchâssé dans un roman inachevé, tourne autour d’un personnage d’ivrogne, écrit par un auteur lui-même ivrogne en qui surgissent des mots sous forme de magma volcanique, lesquels acquièrent la luminosité du diamant au cours des rares instants de lucidité. Impossible rédemption hors du paradis perdu !

            « Mescal, dit le Consul, presque sans y penser. Qu’avait-il dit ? N’importe. Rien de moins qu’un mescal fera l’affaire. Mais pas bien sérieux, il faut pas, se persuadait-il. No, Señor Cervantès, chuchota-t-il, mescal poquito.

            Néanmoins, pensa le Consul, ce n’était pas tellement qu’il ne dût pas en prendre, pas tellement cela, non, c’était plutôt comme s’il avait perdu ou manqué quelque chose, ou plutôt, pas précisément perdu, pas nécessairement manqué – C’était davantage comme s’il était en train d’attendre quelque chose et, d’autre part, pas en train d’attendre… »

 

Publié en Angleterre en 1947 sous le titre: Under the volcano

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