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site de Roland Goeller
19 juin 2021

« Sommes-nous responsables de l’avenir ? »

Epictète

Tel est l’intitulé du sujet présenté au bac philo de cette année. La tradition veut que la dissertation se fasse en trois parties mais nous nous contenterons d’une seule. Nous n’avons guère le temps de chinoiser, les contradictions apparaitront – nous l’espérons – entre les lignes. Sommes-nous responsables de l’avenir ? Sans doute ne le sommes-nous pas – ou très peu – lorsqu’un volcan entre en éruption ou un tsunami vient dévaster un rivage. Les stoïciens nous ont appris à distinguer ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas. A l’évidence, la chute d’une météorite grande comme une montagne n’en dépend pas. Notre passé nous enseigne que l’avenir est incertain, il ressemble à une partition de petites notes pianissimo parfois interrompues par des mesures forte au cours desquelles les grosses caisses font trembler les murs. Il dépend de nous de connaître le passé, d’en registrer les événements et d’en transmettre le savoir aux générations futures afin que celles qui connaîtront les forte puissent avoir pris toutes les dispositions utiles à la traversée des épreuves. Lorsqu’un groupe sait que la terre sous ses pieds tremble régulièrement, il développe un habitat résilient pourvu d’amortisseurs. C’est la fable du chêne et du roseau. Il dépend de nous d’adopter la stratégie adaptée à notre environnement. Au Japon, les immeubles sont construits selon des normes sismiques et ne s’écroulent pas. La connaissance de cet environnement se perfectionne avec le temps et l’expérience acquise au cours des accidents et des catastrophes, mais cette connaissance est perdue si elle n’est pas transmise et il dépend de nous de prendre toutes mesures favorables à la transmission. Non pas seulement en renseignant des manuels de qualité confiés aux seuls experts mais aussi – et surtout – en le gravant dans la chair de chacun. De façon consubstantielle. De telle sorte que la précaution puisse intervenir – non pas la prochaine fois – mais à chaque instant que Dieu fait. A bien regarder les choses, les risques sont élevés mais notre responsabilité est elle aussi immense. Un père apprend à son fils à grimper aux arbres ou à flanc de montagne en assurant ses appuis, à ne pas se lancer sans prendre toutes les précautions utiles. En prêtant oreille au père, le fils finira par intégrer dans son cerveau reptilien tous les enseignements acquis par ses aïeux. Il développera un instinct, une conscience animale du danger grâce à laquelle il ne prendra que des risques mesurés et saura se replier lorsque le danger est trop grand. Encore faut-il qu’il y ait un père et des aïeux ! Tu honoreras ton père et ta mère, prescrit le Décalogue. « Je suis l’Éternel, ton Dieu… » Il dépend de nous de nous soumettre à la Loi ou de la rejeter, non seulement la loi civile et contingente, celle qu’accouchent les assemblées législatives, mais, et surtout, cette Loi transcendante qui constitue le socle de chaque religion. Il dépend de nous de choisir entre deux représentations du monde. Dans la première, nous sommes des individus nomades, sans Dieu, sans autres liens que les contrats et les échanges commerciaux. Dans la seconde, nous sommes des segments de nos lignées familiales elles-mêmes inscrites dans des groupes au sein desquels la cohésion est assurée par une religion – religere. Il dépend de nous de tout nous permettre parce que nous vivons sans Dieu. Il dépend de nous, à l’inverse, de nous soumettre à la loi – divine – et d’en user avec liberté. Ordonner notre vie telle une partition de Bach –ou de Haendel ou de Vivaldi… -, où tout est « ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Ou à l’inverse faire le choix du dodécaphonisme ! Liberté contre licence. Tout artisan sait que la perfection ne vient qu’après un long apprentissage, la répétition inlassable des mêmes gestes. Léonard de Vinci disait que le cercle parfait résulte de la superposition de cercles imparfaits. Les hommes ne sont libres qu’à l’issue d’une longue obéissance, mais cette obéissance parfois -souvent- pèse, et il ne manque jamais d’hommes impatients -le vice suprême selon Kafka- pour brûler les étapes, pour faire miroiter aux hommes -qui ploient sous le joug et ne voient pas les fins dernières- une illusoire liberté laquelle n’est que bris des chaînes dans lesquelles le destin les a invités à exercer leur liberté. Épictète ne s’est jamais révolté contre sa condition d’esclave. Nombreux furent les hommes sans servitude moins libres que lui ! Il dépend de nous de brûler les étapes ou de ne pas les brûler. La tradition -la somme des expériences de nos aïeux- nous apprend qu’en brûlant les étapes, on brûle aussi les vaisseaux. Au cours de la guerre de Quatorze, Paul Valéry a fait le constat atterré que les civilisations étaient mortelles. Beaucoup de choses in fine dépendent de nous et nous avons entre nos mains les clés de notre avenir mais nous ne le savons pas ou ne le savons plus ou, désinvoltes, ne voulons pas le savoir. Nous nous sommes enfermés dans un cocon technologique qui écarte les dangers de premier ordre et nous facilite les choses mais nous rend démunis face aux dangers plus grands. Nous ne savons plus faire la guerre dont nous déléguons le soin à des mercenaires. Nous ne savons plus écouter les oracles qui nous avertissent - l’avons-nous jamais su, pourraient dire Calchas et Cassandre ? 

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