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site de Roland Goeller
23 juillet 2021

Le "Petit Lavisse" et les Alsaciens

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Pour qui emprunte les trains français, il importe avant tout de s’armer de patience, d’eau fraîche et de bonne lecture. Lors de mon dernier voyage, j’avais oublié Le monde d’hier (Stefan Zweig), un acte manqué, peut-être par lassitude que rien n’ait changé dans le monde d’aujourd’hui ! Je mis donc le cap sur le kiosque proche – lequel se présente comme un relayde lecture - et flânai un instant le long des linéaires. Je ne pus me résoudre pour un de ces quotidiens qui regorgent de communications gouvernementales telles des valises de faussaire bourrées de contrefaçons. Enfin, je tombai sur un livre en apparence sympathique, le Petit Lavisse

La bonne idée, me dis-je ! Un petit précis d’histoire, illustré, peut-être la meilleure façon de lutter contre cette inculture – ou dé-culture – que le ministère accrédite en accordant généreusement le titre de bachelier à 95% d’une classe d’âge. Lavisse, donc ! Un homme de culture, lui, un émule de Michelet, rendons-lui cet hommage ! Lavisse est cet inspecteur général, historien, qui administrait les armées d’instituteurs et en fit les hussards noirs – les nouveaux curés - de la IIIe République. Il légua en 1913 une monumentale histoire de France que le ministère condensa en quelques morceaux choisis, regroupés sous le titre de Petit Lavisse. Il y est question de Vercingétorix, Ste-Blandine, Clovis, Charlemagne, St-Louis, la guerre de Cent-ans, François Ier, Bayard le chevalier sans peur et sans reproches…, des épisodes narrés à la manière de contes destinés à l’édification des jeunes écoliers. Les omissions et approximations sont compensées par l’intention – louable – de raconter une histoire fondatrice et fédératrice, celle du pays ou de la nation – comme l’on voudra – nécessaire à une époque, la nôtre, de déconstruction et de repentance où chacun veut raconter la sienne ! Loin d’être parfait, ce petit Lavisse avait et a le mérite d’exister et faisons le vœu que paraissent d’autres Lavisse de plus grand format ! 

Hélas, que lisons-nous à la page 161 ? « La paix désastreuse (…) fut signée en 1871. Les Allemands nous obligèrent à leur donner cinq milliards de francs et nous prirent deux beaux pays, l’Alsace et une partie de la Lorraine. Les Alsaciens et les Lorrains voulaient rester français. Ils aimaient la France de tout leur cœur. Ils continuèrent de l’aimer, et ils espèrent que la France les délivrerait un jour… » Lavisse écrivit ces lignes en 1913 et la réédition du livre en 2013 n’en a pas modifié un iota. Eh oui ! Lorsque les historiens, même les plus cultivés, évoquent l’histoire de l’Alsace et de la Lorraine, ils le font avec une certaine constance… dans la myopie et l’erreur de parallaxe. 

Les Alsaciens-Lorrains qui continuent de fulminer contre les grandes régions hollando-vallsiennes (du nom des hommes politiques qui espèrent figurer dans un prochain Lavisse) apprécieront donc ce petit manuel d’histoire à sa juste mesure. N’en tenons pas rigueur cependant à ce bon M. Lavisse, il était dans l’air du temps, il a écrit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas voire tout haut et, aurait-il écrit autre chose, il n’aurait pas été publié ! Il s’est fait le porte-parole de l’esprit revanchard qui, tel un mauvais daïmon, rodait tant dans les Chambres que dans les chaumières, furieux comme échappé de la boîte de Pandore.

Un brin d’histoire s’impose donc ! Le traité de Francfort de mai 1871 laissa aux populations des provinces conquises le choix de la nationalité, une libéralité wilhelmienne. Ils furent quelques dix-mille – optants – à choisir la nationalité française. Réfugiés à Paris, notamment, ils propagèrent le mythe d’une Alsace-Lorraine de tradition française – exclusivement francophile – réduite à la merci d’une Prusse barbare et sanguinaire. Ils en firent le symbole de la liberté bafouée et en déduisirent que les Alsaciens-Mosellans étaient français de cœur, comme prémisse nécessaire à l’esprit revanchard sur les braises duquel ils n’ont cessé de souffler. 

Quant aux Alsaciens-Mosellans qui n’optèrent pas – la grande majorité, hommes du peuple attachés à leur terre et qui, certes, n’avaient ni les moyens ni l’intention d’opter – ils ont gardé de cette période des souvenirs bien différents. Citons, parmi d’autres, quelques méfaits à mettre au débit des barbares prussiens. Ils ont instauré une sécurité sociale dès 1883 – elle ne le fut en France qu’en 1946 – développé Strasbourg avec la prestigieuse Neustadt, favorisé l’enseignement secondaire des filles, stimulé le développement industriel et économique et accordé progressivement un statut de Land – Reichsland – statut de relative autonomie que l’Alsace-Lorraine ne retrouvera jamais sous l’administration française. Ces bienfaits ont certes été ternis par quelques dommages mais la perfection n’existe ni de ce côté du Rhin ni de l’autre ! Quant aux Alsaciens-Mosellans français de cœur de toute éternité, il n’est pas inutile de rappeler que la mémoire collective alsacienne-mosellane porte les souvenirs – profonds et féconds - de sept siècles de St-Empire romain germanique parmi lesquels de longues périodes de prospérité – les XIVe et XVe siècles notamment – avec des structures politiques et administratives propices à l’initiative locale – les villes libres d’empire – Freie Reichsstädte - dont la Décapole pour ne citer qu’elle. La situation n’est donc pas – loin s’en faut – aussi désastreuse qu’ont voulu le laisser entendre les Optants et l’Inspecteur Lavisse !  

Le dol serait moindre si la nouvelle édition – augmentée – de 2013 s’était enrichie des corrections qui s’imposent. Hélas, la cause était entendue dans l’esprit de M. Casali – l’augmenteur – et dans celui de ses commanditaires, lesquels, magnanimes d’impartialité, en restèrent à la version de la IIIe République. Les Alsaciens-Mosellans sont condamnés, de toute éternité, à être et avoir été français de cœur. Les préjugés ont la vie dure et, sans doute, la courbure de la terre empêche les plaines jacobines d’Ile-de-France d’entendre les clameurs qui s’élèvent au-delà de la ligne bleue des Vosges. Mais il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre !

« L’histoire ne s’apprend pas par cœur, elle s’apprend par le cœur », écrivait fort justement M. Lavisse en épigraphe de son opus. A condition cependant de ne pas se tromper de ventricule ! 

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