Le chemin de croix du Goeftberg
Les 14 croix s’échelonnent le long d’un chemin de terre, caillouteux, de part et d’autre, en grès tantôt rose tantôt bistre, au ponant de la colline, parfois penchées par les années, sculptées avec raffinement dans un style naïf par des tailleurs – des artistes – qui n’ont pas laissé de signature, ou alors une marque, un hiéroglyphe, en écho à cette coutume moyenâgeuse selon laquelle l’artiste restait anonyme, fût-il inspiré tels Michel-Ange ou le Bernin. De part et d’autre du chemin, s’étendent des vergers étagés, bordés de noisetiers, de noyers et de pruniers sauvages. Les étendues d’herbe sous les arbres ne sont plus fauchées mais les stèles sont entretenues, régulièrement fleuries par quelques pénitents qui eux aussi restent anonymes. Sur l’une d’elle apparait la date 1772, certaines croix sont sans doute antérieures. Quoique le pays fût déjà rattaché à la couronne de France – par les vertus du traité de Westphalie – les versets qui commentent les étapes du Chemin de Croix sont en langue allemande. « 3. Jesus fallet das erfte mahl under dem kreutz. » Jésus tombera encore deux autres fois, toujours en allemand, les Capétiens-Bourbons savaient qu’il ne faut pas arracher l’âme des provinces conquises. Une chapelle votive couronne la petite éminence qui n’a rien d’un Golgotha mais d’où la vue est imprenable sur la ligne des Vosges laquelle est bleue de quelque côté qu’on la contemple. Nous avons parcouru le chemin du bas vers le haut, nous arrêtant devant chaque croix pour en admirer le motif et tenter d’en comprendre le sens. Et sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés devant des mirabelliers qui nous tendaient leurs branches lourdes de fruits. Nos regards étaient tombés sur eux. Nous ne les avions pas remarqués à l’aller mais nous n’avons pas osé penser qu’il pouvait s’agir d’une grâce. L’horizon s’était-il ouvert plus largement ? Nous marchions, attentifs à ce que nous imaginions voir, puis nous marchâmes, attentifs à ce qu’il y avait à voir ! Les mirabelles étaient succulentes.