Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
site de Roland Goeller
29 novembre 2021

Zola, Au bonheur des dames, note de lecture

zola au bonheur des dames

Zola ! Je n’avais jamais lu Zola. Un suspense formidable, j’ai cependant survolé les cent dernières pages – notamment ces longues évocations de la troisième phase de l’essor du Bonheur, une répétition certes talentueuse mais un rien superlative des deux précédentes – pour parvenir à la dernière et savoir si Denise consent enfin à écouter son cœur et se donner à Mouret ! Le ressort du livre est là, l’infatigable résistance opposée par la très modeste Denise aux avances du fringant capitaine de commerce Mouret, homme à femmes et patron du Bonheur, parce qu’elle aurait le sentiment de se commettre et perdre sa dignité. L’obstacle est un peu monolithe et les personnages ne savent comment le contourner, aussi ne cessent-ils de se confronter en assauts et surenchères suivis de fins de non-recevoir. Jane Austen vous aurait détricoté ça avec habileté et malice. Non, Zola n’est pas Austen. Et puis, les amours de Denise et Mouret ne constituent pas l’essentiel du scénario ! Il y a plusieurs scènes de théâtre annexes. Le lecteur est invité à s’y promener comme dans les étages du Bonheur et Le Bonheur est tissé comme un feuilleton, un feuilleton plus consistant que ceux de Dumas dans lesquels on tirait l’épée toutes les trois pages. Dieu merci, dans le Paris du second Empire, ce n’est pas l’épée qu’on tire, mais ce sont les tissus qu’on déplie et les chevaux du progrès qu’on enfourche. La véritable intrigue est là : le Bonheur – la matrice des futures Galeries Lafayette – grignote peu à peu le petit commerce alentours, lequel offre une résistance aussi dérisoire et inutile que pathétique. Les gros contre les petits, lesquels se font manger. Zola prend fait et cause. On nage en plein militantisme préludant la lutte des classes, aussi faut-il des personnages poussés jusqu’à la caricature. Mouret en petit prodige dénué de scrupules. Boudu et Barras en représentants benêts et butés du petit commerce, archétypes de tous les syndicalistes à venir, et Denise, inébranlable, l’échine courbée mais solide, orpheline flanquée de deux frangins à charge, angélique en somme mais pas naïve ni sotte pour autant. Bref, il y avait une thèse à démontrer. Dommage, car Zola sait croquer, comme pas un, l’immense machinerie du Bonheur mise en route – et quelles belles pages qui donnent à entendre tout son ronflement ! Qu’on en juge : « Alors Denise eut la sensation d’une machine, fonctionnant à haute pression, et dont le branle aurait gagné jusqu’aux étages. Ce n’étaient plus les vitrines froides de la matinée ; maintenant, elles paraissaient comme chauffées et vibrantes de la trépidation intérieure. Du monde les regardait, des femmes arrêtées s’écrasaient devant les glaces, toute une foule brutale de convoitise. ET les étoffes vivaient, dans cette passion du trottoir : les dentelles avaient un frisson, retombaient et cachaient les profondeurs du magasin, d’un air troublant de mystère ; les pièces de drap elles-mêmes, épaisses et carrées, respiraient, soufflaient une haleine tentatrice ; tandis que les paletots se cambraient davantage sur les mannequins qui prenaient une âme, et que le grand manteau de velours se gonflait, souple et tiède, comme sur des épaules de chair, avec les battements de la gorge et le frémissement des reins. Mais la chaleur d’usine dont la maison flambait, venait surtout de la vente, de la bousculade des comptoirs, qu’on sentait derrière les murs. Il y avait là le ronflement continu de la machine à l’œuvre, un enfournement de clientes, entassées devant les rayons, étourdies sous les marchandises, puis jetées à la caisse. Et cela réglé, organisé avec une rigueur mécanique, tout un peuple de femmes passant dans la force et la logique des engrenages. » Que talent ! Mais les forces et artéfacts sociaux sont les vrais personnages et les Mouret, Bourdoncle, Aurélie et Boudu n’en sont que les instruments qui leur fournissent des raisons de vivre et d’intriguer. Balzac regarde ses contemporains et ses personnages, plus complexes, s’en ressentent. Zola regarde les forces politiques et les enjeux. Ce bourgeois n’épouse pas les codes et les visions de sa caste. Les personnages sont secondaires chez lui, même les principaux, ils sont réduits à leur seule dimension sociale. Zola en a besoin pour exposer les phases et les ratés de la machinerie. L’amour de Mouret et Denise rachète-t-il ce vaste essai qu’est le Bonheur ? Denise ne voulait pas perdre sa dignité en devenant une maîtresse qu’on prend et jette. In fine, elle succombe à ce dont on l’accuse, à savoir un mariage en guise d’ascenseur social ! Zola ne sacrifie-t-il pas la dignité de son héroïne à son besoin d’en découdre ? 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
site de Roland Goeller
Publicité
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 232 402
Archives
Publicité