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site de Roland Goeller
13 mai 2022

Céline, D'un château l'autre

céline 1

Guerre ! Il suffit que paraisse un livre de Céline, de ceux qui lui furent volés en aout 1944 rue Grévillon, et aussitôt surgit cette sempiternelle question, faut-il l’ignorer ou se jeter dessus ? Ah Céline ! Jamais vraiment à la place où on croyait l’avoir laissé. En attendant de parcourir les pages de Guerre, j’attrape D’un château l’autre, qui patientait dans la bibliothèque en attendant l’occasion favorable. Un moment qu’il s’y trouve du reste, et un Pléiade en plus, celui de la trilogie. Ouvert bien des fois et refermé aussitôt ! Mais voilà, avec Guerre au portillon, s’agissait plus d’ajourner ! Alors je m’y mets. Les 90 premières pages, Bon ! Quel charabia, est-on tenté de se dire. Attendons la suite ! Que lisons-nous ? Que lit un lecteur qui ignore tout de Céline? Le long soliloque d’un mauvais garçon espiègle, bon médecin sans doute, mais réprouvé, installé à Meudon avec sa femme Lili, ses chats ses chiens et ses souvenirs. Et quels souvenirs ! Flot atrabilaire suspendu par quelques visites à une patientèle famélique tenue à distance, selon lui, par son statut de médecin sans bagnole. Début des années soixante qu’a été écrit le Château, au retour du Danemark, à Meudon ! Un récit puissant tout d’invective et d’interpellation. Mais sommes-nous en présence d’un roman ou d’une compilation de souvenirs qui, tels des garnements bavards, se bousculent pour prendre la parole ? C’est qu’il a de la mémoire, le bougre, à croire qu’il a pris des notes même s’il s’en défend. Dans l’ordre et le désordre, Vesterfangsel, la prison de Copenhague où il séjourna quelques dix-mois et dont les geôliers lui demandèrent inlassablement si, avant le Blitz de 40, il avait vendu aux Allemands les plans de la ligne Maginot ; l’appartement rue Girardon à Montmartre qu’il dût fuir en août 44 abandonnant de précieux manuscrits qu’il accusa à juste titre les aigrefins d’avoir vendu aux puces et qui refirent surface en 2020 dans des circonstances peu glorieuses pour les receleurs ; fin 1944 le purgatoire de Sigmaringen sur le Danube où 1142 collabos passibles de l’article 75, parmi lesquels Pétain, attendaient leur descente aux enfers ; la France si pitoyable qu’il la nomme Vrounze la publique pour la république ; l’ombre du passeur Charon qu’il s’obstine à écrire Caron ; etc. Mais tout cela nous importe-t-il vraiment ? Qu’apprenons-nous que nous ne sachions déjà ? Céline nous donne un témoignage unique et truculent – comme s’il avait été embarqué dans une aventure qui ne le concernerait que de loin – sans filtre et sans fard, de ces années d’épuration à la fin de la seconde GM, années de mesquineries et de vengeances sournoises. De Gaulle rêvait d’un peuple qui redresse la tête, Céline nous le montre se haussant du col, bravache et couard à la fois, animé d’un courage de meute. « Les bourres encore c’était rien, mais la foule ! en hachis qu’ils l’avaient mis ! c’est ça la pensée de la foule : hachis et bout d’os ! » (page78)

Tout cela est raconté de façon impressionniste, à petites touches parfumées d’argot de Clichy qui ne dédaignent pas sauter du coq à l’âne, de Sigmaringen à Meudon, de Lili à Mme Niçois… Céline est submergé par tout ce dont il a été le témoin, il n’a pas le temps de terminer ses phrases ni même d’en faire. Il se contente d’une suite de groupes nominaux, comme ils disent aujourd’hui à l’académie, dont il confie au hasard le soin des enchainements et de la logique, en dépit de ses rodomontades d’auteur soi-disant travaillant ses textes. Céline, c’est un moulin à paroles fou qui ne s’arrête jamais, fou sans doute de cette folie aigre contractée en 1915 lorsqu’il était dans la peau de Bardamu. Un gosse des quartiers pauvres, espiègle et doué, qui se voit emporté dans le tourbillon de la guerre de 14 et sauve ses fesses avec sa plume ! Le Voyage et Mort à crédit installent un auteur original et talentueux, de l’engeance des Rabelais et des Villon, à mille lieues des académies dont il ringardise les badernes, lesquelles n’auront de cesse d’avoir sa peau. Puis, tel un arrangeur de jazz (cf. M.E. Nabe) qui s’empare de tout ce qui passe à sa portée, ce con se met à délirer sur l’antisémitisme dans les pamphlets qui lui vaudront des volées de bois vert bien mérités mais qui ne cesseront d’être lus au premier degré. 

Il bénéficie de la notoriété dont jouissent les mauvais garçons talentueux, Stavisky, etc., jusqu’à ce que les rancœurs sortent de leur boîte de Pandore. Alors le mauvais garçon passe son temps à se justifier dans les romans, D’un Château l’autre, lui, l’exemplaire, le patriote, etc., mais que nous importe, nous disons-nous encore ! Je saute une page sur deux, fatigué par les points d’exclamations et l’absence de la plus petite intrigue qui mette un peu d’ordre dans ce capharnaüm, fatigué de cette voix nue qui glapit sur des Décombres qui ne sont pas seulement les siennes. 

Passée la page 100, ça devient sérieux ! Sigmaringen, les promenades de Pétain, le protocole, les mesquineries, les pathologies en veux-tu en voilà, les consultations du docteur Destouches à ses malades, les avions de la R.A.F, les gogues qui débordent, le lupanar à ciel ouvert autour de la gare et des trains de réfugiés, la bastonnade du commissaire Papillon qui avait le projet de se carapater en Suisse, le voyage en train à Hohenlychen, etc., comme si vous y étiez, comme un journal de bord tenu au jour le jour. Mais pas du tout ! Céline au fond de son lit à Meudon où il a froid, revenu de Sigmaringen et de cinq ans de prison et d’exil au Danemark, à cause de l’article 75, Céline égrène ses souvenirs avec un peu d’approximation et toujours un brin de cabotinage. « Que voilà de disparates histoires ! je me relis ! toutes mes excuses ! si je chevrote, branquillonne, je ressemble, c’est tout, à bien des guides ! vous me tiendrez aucune rigueur quand vous saurez le fond du fond ! ferme propos ! tenez avec moi ! je suis là ! je fais sursauter mon lit, tant mieux ! tout pour vous ! le rassemblement des souvenirs !... je veux vous égarer en rien ! » Sacrée pagaille chez les collabos rassemblés à Sigmaringen et c’est ainsi qu’il convenait peut-être d’en rendre compte. Pas de grandes phrases, une suite ininterrompue de petites exclamations comme en pousseraient des fugitifs qui avancent de planque en planque, traqués, un sauve-qui-peut général ! Comment raconter cela dans une phrase proustienne ? La bonne surprise, c’est que ce récit décousu ressemble à quelque chose, il rend on ne peut mieux compte de l’ambiance, de l’esprit de ce temps où le destin du pays avançait sur le fil d’un rasoir ! Pendant que de Gaulle tissait sa légende avec un demi-million de partisans, Céline raconte la débandade des élites qui avaient tenu entre leurs mains les destinées de 40 millions de Français assommés par la Débâcle et amassés sur les Chamzé pour acclamer les nouveaux vainqueurs. Il fallait bien un Céline pour montrer l’envers du décor avec son babil en forme de caméra aussi affutée qu’un scalpel.

döblin 1

Alors, savoir s’il faut ou non lire Guerre, l’un des manuscrits qui avaient été scandaleusement chourés rue Grévillon en août 44 ? Cette question renvoie au statut de Céline en qui d’aucuns voudraient ne considérer que l’écrivain tandis que d’aucuns autres voient aussi l’homme, le génial auteur du Voyage mais aussi le peu recommandable collabo auteur des Pamphlets. Il est difficile de faire abstraction de ce dernier mais il me semble qu’il ne faut pas moins continuer à lire le premier. Ses lecteurs se rangent en célinophiles, célinolâtres, célinophobes, célino-incompatibles, etc… Moi, je lirai Guerre, un jour ou l’autre, mais, je le crains, en sautant une page sur deux, parce que les exclamations, hein ! En attendant, je poursuis l’Odyssée de Franz Biberkopf, dans Berlin Alexanderplatz, le roman urbain d’Alfred Döblin paru presqu’en même temps que le Voyage, dans une facture au moins aussi argotique et originale, sauf que Döblin a jamais écrit de pamphlets ! 

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