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site de Roland Goeller
8 novembre 2021

Quelle culture en Alsace-Moselle? première contribution

Contribution destinée à un colloque organisé par le SchIckele Kreis le 6 novembre 2021 à Strasbourg 

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La littérature est le réceptacle des bruits du monde et il appartient aux auteurs d’en tirer un matériau, de construire la portée musicale sur laquelle ordonner ce matériau en forme de récit. En retour, il est important que le peuple, la nation, les hommes qui produisent les bruits puissent se reconnaître dans le récit qui leur en est donné. Emilia Galotti, Werther, Dichtung und Wahrheit, L’Émile, Mémoires d’outre-tombe, etc. sont quelques-unes des œuvres qui témoignent des modifications profondes intervenues en Europe Centrale, et en France, aux XVIIIe et XIXe siècles. La « culture » d’un espace géographique se manifeste, notamment, dans sa littérature et il importe d’avancer dans ce propos en s’appuyant sans cesse sur cette dichotomie culture-littérature. Les espaces géographiques du XXIe siècle ont profondément évolué par rapport à ceux du XIXe. L’Alsace-Moselle est-il encore un espace particulier dans cette trame désormais globalisée, mondialisée, et de quelle façon l’est-il ? Le jury Goncourt qui accorde un prix à Mbougar Sarr salue sa prouesse littéraire mais aussi la résonance très actuelle de la psyché sénégalaise au sein de la société française. Le Renaudot accordé à Angot témoigne de la place prise désormais par le récit victimaire. Les échos de la Shoah ne cessent de se propager dans l’imaginaire occidental, ils donnent

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naissance à de multiples récits qui sortent de leur mutisme, les femmes, les minorités ethniques ou sexuelles, etc. L’attribution du prix Büchner 2021 à l’autrichien Clemens Setz est, elle aussi, révélatrice. Il me semble que, par l’effet de la globalisation, le « grand théâtre » du monde et de l’Occident s’invite dans ses coins les plus reculés. L’A-M échappe-t-il à cette prégnance, cette submersion ? A l’époque de Goethe, l’Alsace vivait dans la confluence de la diffusion des Lumières et de la naissance du romantisme allemand, même si les Stoeber, et plus tard Hebel, notamment, n’ont cessé de rappeler la permanence de la sagesse populaire et de l’esprit du conte. Mais aujourd’hui ? Un récit en A-M, qui se veut caractéristique de l’A-M, peut-il ignorer toute la foison du monde ? Par le jeu des médias et des institutions culturelles, ce qui se passe sur la grande scène du monde résonne désormais comme une grosse caisse au sein d’un orchestre dont les « instruments locaux » semblent mis en sourdine. Le « local » se rétracte comme la peau de Chagrin de Balzac. L’Alsace traditionnelle se réfugie le long des contreforts vosgiens (tels les lettrés du VIe siècle après la décomposition de la civilisation romaine, cf. St-Florent ?). Strasbourg est devenue une ville cosmopolite, piétons et passants font usage de parlers et de sabirs parmi lesquels s’entendent parfois quelques mots d’alsacien. Il me semble que le récit, en A-M et en général, se doit de rendre compte de toutes ces évolutions et tropismes, avec quelques particularités cependant. En A-M persiste un héritage allemand ou rhénan ou Mitteleuropa qui, parfois, entre en conflit avec la culture dominante dont je ne sais plus s’il convient de la décrire comme française ou universaliste. Ce conflit est un objet de littérature caractéristique de l’A-M. à plus d’un titre, notamment la lutte pour la survie de cet héritage menacé de disparition. Cette menace génère une nostalgie, une Sehnsucht, une saudade, propice au lyrisme. La mémoire de l’Anschluss de Quarante l’est aussi, en ce que la présence nazie, en A-M, n’a pas été vécue de la même façon que dans le reste du territoire métropolitain et dont le récit, français, ne rend pas compte de la différence (notamment l’épisode dramatique des malgré-nous, resté très largement incompris, et source de regrettables malentendus). Il me semble qu’il y a à dire, aussi, certaines choses concernant la coexistence des religions sur un mode concordataire, bien différent du mode laïque voire laïcard adopté dans l’hexagone. Enfin, je voudrais mentionner combien, plus qu’ailleurs en France, les réminiscences du passé s’invitent dans le récit quotidien... Ma propre « collection » est loin d’être exhaustive, il appartient à chacun de définir la sienne afin que de leurs superpositions naisse un noyau commun. Psyché et langue se nourrissent l’un l’autre. Si l’apprentissage et la maîtrise de « l’autre langue » constituent une sorte de boîte à outils, semblable à la palette chromatique du peintre, la production littéraire et artistique, lorsqu’elle recueille quelques-unes de ces confluences, nourrit l’imaginaire populaire et, en retour, plus que toute politique culturelle, entretient le désir de langue, le « désir d’Alsace » !

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