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site de Roland Goeller

18 avril 2024

Réflexion sur les institutions

La lecture du premier chapitre de l’Effort, dans les Mémoires d’Espoir, est à cet égard révélateur. De Gaulle fait le récit de la dernière partie de la mutation institutionnelle qui s’achève avec le référendum du 28 octobre 1962, où 62% du corps électoral s’est prononcé en faveur de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, en d’autres termes, le plébiscite d’un homme et l’instauration d’un référendum septennal que d’aucuns de ses contradicteurs ont voulu non sans raison présenter comme un coup d’état permanent. Avec sa verve parfois féroce, de Gaulle multiplie les anecdotes à propos des obstacles qu’avaient alors dressés les parlementaires de tous bords. « Mais précisément, comme toujours, le principe même d’une décision directe du peuple est odieux à toutes les anciennes catégories politiques[1] », ou encore « Quant à croire que la sagesse prévaudrait à l’Assemblée lors qu’elle se saurait condamnée à retourner devant les électeurs…, ce serait méconnaître les astucieux détours dont se serviraient les groupes pour faire sortir les ministres sans renverser le ministère ni provoquer la dissolution.[2] » Deux impensés se manifestent cependant en creux dans ce texte, le premier concerne le peuple, le second la personnalité du Général lui-même, auteur du texte. Considérons le premier ! Il apparait que le référendum du 28 octobre est avant tout un suffrage d’adhésion et de confiance. On ne niera pas que la crainte de retomber dans les errements de la IVe ne fut pas absente dans l’expression populaire mais cette crainte entrait explicitement dans l’objet de la consultation. Le peuple semblait d’avis que l’essentiel de ses préoccupations était de mettre en place des institutions stables. Il sortait de la guerre, des restrictions et du rationnement, des ignominies de la Collaboration, de la guerre civile en Algérie, de la sédition militaire et de la valse des cabinets, etc. Il ne se posait pas ou peu de questions sur son identité, ses orientations culturelles et cultuelles, ses divisions communautaires. Il voulait une stabilité et pourquoi pas celle que lui offrait le Général. Les opposants de ce dernier, à savoir les parlementaires et notables de la IVe, - et j’en arrive au second impensé - n’en présentaient pas moins des objections sensées. S’en remettre par un suffrage direct à un homme, même pour une période limitée à sept ans, c’était prendre le risque de la carte blanche voire de la dictature comme n’ont pas manqué de le souligner certains dont l’histoire ne retiendra que leur talent à contrarier. Et c’est là qu’intervient la personnalité du Général dont on connaissait l’Appel du 18 juin, l’opposition au régime de Vichy, l’action prépondérante pour sauver la France de la menace de l’Amgot américain, etc. Le Général était-il vraiment un homme dont il faille craindre les ambitions personnelles et un goût tardif pour la dictature ? Il fallait être zouave ou notable bien sous tous rapports pour le croire !  Aussi nous permettons-nous d’affirmer qu’au référendum du 28 octobre 1962 se sont rencontrés un peuple et un homme sur la même longueur d’onde. Qu’en est-il cependant aujourd’hui ? Le 24 avril 2022, Emmanuel Macron a été réélu avec 58% des votants et 38% des inscrits parmi lesquels les commentateurs observent que 40% des voix se sont portées sur lui pour faire barrage à l’autre candidat, autant dire un suffrage de défiance et de rejet, alors même que l’action politique suppose au préalable des choix clairs ainsi qu’une confortable adhésion. A l’évidence, une période de crise s’ouvre, plus accentuée qu’au cours du quinquennat passé car les espoirs déçus et les confiances trahies se sont multipliés. Ne tentons pas non plus d’en esquisser des signes. Pour se livrer à cet exercice il faudrait prendre en compte la conjoncture internationale, instable comme l’on sait. Restons-en au fonctionnement institutionnel ! Qu’est-ce qui n’a pas marché ou qui ne marche plus ? À l’évidence, le corps électoral ne présente plus l’unité et la cohésion de 1962. Il est traversé par plusieurs lignes de forces qui le divisent et rendent difficile sa propre prise de conscience. Son dessein lui est devenu obscur. La cohésion territoriale est facturée, métropoles choyées par les politiques publiques contre zones rurales délaissées. Grand marché mondialisé contre marchés locaux. Enracinement contre déterritorialisation voire déconstruction. Agnosticisme post-chrétien en butte à des communautés définies par leur culte. Roland Garros contre Championnat de première division. Élites contre ploucs, pourrait-on ajouter avec toute la prudence nécessaire ! De ces multiples lignes de force, ne se dégage aucun flux majoritaire et les expressions qu’en proposent les partis politiques ne vont pas toujours dans le sens de la clarté. Excès et déni rivalisent d’intensité pendant que les ambitions personnelles et les notables avancent leurs pions. Au final, l’élection est emportée au centre, là où il est convenu de s’occuper de questions d’intendance et d’éviter celles qui fâchent. Le consensus ne se fait plus a maxima mais a minima. Et l’homme qui l’emporte se veut en même temps. Ses convictions sont suffisamment extensibles pour que chacun trouve à boire et à manger, mais reste sur sa faim quant aux attentes profondes. Emmanuel Macron est-il pour autant taxable d’hybris et d’ambitions trop personnelles ? Un certain nombre d’indices pourrait le laisser penser. Ainsi du recours trop systématique à McKinsey ? Mais on peut entendre aussi qu’il ait voulu une certaine efficacité. Ainsi de certaines formules malheureuses comme « il n’y a pas de culture française » ? On sent l’homme dépassé par certaines questions qu’il veut éviter, peut-être pour ne pas en avoir affronté le tranchant. Ce n’était pas le cas de De Gaulle qui a connu l’époque où il n’était pas certain que la France survive à l’adversité et à son chaos politique. Et nous touchons là au second terme de l’équation, le peuple qui ne sait plus qui il est se porte à la rencontre d’un homme qui, ne sachant pas d’où il vient, ne sait pas non plus où il veut aller, un homme non pas déméritant mais auquel les événements n’ont pas conféré une stature de héros et qui ne sera pas entré dans l’histoire avec un appel du 18 juin. La constitution de la Ve suppose deux conditions, implicites, qui ne sont plus réunies et à l’absence desquelles aucune loi ne pourra porter remède. Aussi, la question de l’évolution de cette constitution se voit-elle posée, en lien indissoluble avec cette autre question d’un peuple qui se cherche. À moins de prétendre : « Puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple ![3] »

 

[1] De Gaulle, Mémoires d’espoir, L’effort 1962-…

[2] Id.

[3] Berthold Brecht

Réflexion sur les institutions
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10 avril 2024

Faits divers

Tout fait divers contient un ressort dramatique dont un écrivain peut s’emparer, pour peu qu’il se documente et procède aux investigations nécessaires. Le meurtre de Grégory, la disparition du petit Émile, les affaires Dupont de Ligonnès, Fourniret, Romand on encore celle des disparus de l’Yonne ont de quoi fournir matière à polar et tenir en haleine un lectorat avide de chroniques judiciaires, surtout lorsqu’il reste un point non résolu ou lorsque le profil du criminel est a priori au-dessus de tout soupçon. Nous assistons cependant à une recrudescence de faits divers d’une autre trempe, une sorte d’emballement qui nous interroge. Agressions, viols, meurtres de jeunes filles et de femmes, expéditions punitives, tabassages mortels, rodéos urbains, refus d’obtempérer, émeutes, etc. Ils surprennent non par leur mystère mais par leur répétition voire leur banalité. L’événement n’en est pas moins dramatique mais son compte-rendu est sans obscurité, quand bien même se multiplient des déclarations de prudence des responsables politiques selon lesquels il convient « d’attendre les résultats de l’enquête en cours. » La répétition interroge. Journalistes, chroniqueurs, sociologues et élus avancent des explications teintées de parti-pris voire d’idéologie. Les polémiques naissent, enflent, obscurcissent plutôt que d’éclairer. Où est le bon grain, où l’ivraie ? En 2023, une cinquantaine de viols auraient pu être évités si les OQTF de leurs auteurs avaient été exécutées. Les journaux la plupart du temps leur ont consacré quelques articles, tant leur banalité fournissait peu de sensationnel. Mais s’agit-il encore de faits divers ? On peut formuler la question autrement : à partir de combien d’occurrences les faits divers qui se ressemblent témoignent de tendances, d’inflexions, de mouvements de fond qu’il convient de questionner ? Et ce questionnement relève-t-il des seuls journalistes, chroniqueurs, sociologues, élus et experts autorisés ? Existe-t-il une version officielle, comme du temps de la Loubianka, ou le débat est-il possible ? Dans L’affaire Harry Québert, Joël Dicker met en scène un fait divers crapuleux qui tient le lecteur en haleine par l’habilité de l’assassin d’avoir orienté les soupçons vers un faux-coupable idéal. Le suspense nous met entre les mains un bon polar qui cependant ne nous éclaire en rien sur les mouvements de fond — nous ne dirions pas la même chose des Revenants de Laura Kasischke. Aussi est-il peut-être temps que d’autres Joël Dicker se penchent sur des faits divers sans ressort sensationnel autre que leur banale répétition et interrogent — à la manière dont ont pu le faire un siècle plus tôt un Robert Musil, un Herman Broch ou encore, plus près de nous, un Milan Kundera — le glissement du monde occidental, de la fin des Trente Glorieuses, d’un état de prospérité vers un état de grand désarroi et de violence. Un dessin vaut mieux que de longues explications et l’histoire de personnages emblématiques vaut mieux que mille thèses. Houellebecq a de ce point de vue ouvert une voie. Il faut en ouvrir d’autres, persévérer. Lorsque se reproduisent des faits divers de même teneur et que la seule réponse publique consiste à inviter à s’habituer à un climat de violence endémique, il est urgent de retrousser les manches et de tremper la plume dans l’encrier. Est-il question d’excès de capitalisme, de lutte des classes, de revanche postcoloniale, de choc de civilisations, de patriarcat insupportable, d’impérialisme russe, etc. ? Il est grand temps que la littérature s’empare de ce glissement à l’œuvre depuis presque un demi-siècle et propose un récit alternatif à celui de la fatalité de faits divers qu’il est devenu incorrect d’énumérer. Mais il est vrai que grande est la tentation de détourner le regard et se donner bonne conscience en remuant les cendres inertes de l’histoire.

Faits divers
3 avril 2024

Naufrage

Une élève entre au Lycée Maurice Ravel (Paris XXe) en bravant l’interdiction du port du voile. Le proviseur intervient, use de son autorité, met l’élève en demeure. L’élève n’obtempère pas et porte plainte sur la foi d’une accusation frauduleuse. En parallèle, elle mobilise les RS et le proviseur (qu’il en soit préservé !) se voit menacé de mort. L’importance de la menace, le soutien apporté par une partie du corps enseignant de l’établissement à l’élève et, peut-être, la tiédeur du soutien de la hiérarchie conduisent le proviseur à présenter, à trois mois de sa retraite, sa démission. Dans une conférence de presse, la ministre de l’EN, flanquée d’un staff conséquent, déclare que cette démission intervient pour « convenances personnelles ». Sur le velours de l’estrade, loin du terrain, la ministre rappelle à force voix les principes intangibles de la république et que, désormais, « le pas de vague, ça suffit ! » L’an dernier, le futur premier ministre déclarait déjà qu’on allait voir ce qu’on allait voir. Tous les ténors d’en-haut sonnent les trompettes de l’indignation et rappellent les vertus de la laïcité, sésame de la république. La communication tente de sauver les apparences, la ministre estime avoir fait son job, la parole d’une élève est traitée sur le même pied que celle d’un proviseur, un proviseur voulant faire respecter la loi se voit déjuger en faveur de l’élève qui a bravé celle-ci, qui plus est, pris à partie par une armée de l’ombre, le Président de la République distribue des distinctions honorifiques en outre-mer, la république capitule en rase campagne et son l’école prend l’eau comme jamais mais je ne lis aucun commentaire d’indignation sur les murs des écrivains qui figurent dans mes contacts. Sont-ils en vacances, l’affaire est-elle passée sous leurs radars ? Lorsque se délite l’institution-phare par laquelle se transmettent la culture et les savoirs, l’institution sacrée garante de la continuité, tous ceux qui prennent la plume au nom de l’imaginaire devraient avoir les tripes remuées et s’emparer de cette question brûlante. J’hésite entre ces deux apophtegmes : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les conséquences dont ils chérissent les causes[1] » et « Le mal ne prospère que par l’indifférence des gens de bien[2]. »  

 

[1] Nicolas Chamfort

[2] Edmund Burke

Naufrage
2 mars 2024

Diplomatie

La diplomatie consiste à reconnaître que l’autre, l’autre camp, l’ennemi, celui que dans les moments de colère on voudrait anéantir, reconnaître que l’autre n’est pas dépourvu d’arguments, possède des arguments recevables voire entendables, qui doivent être écoutés dussent-ils nous scandaliser, des arguments qui constituent pour l’autre une sorte de ligne rouge au-delà de laquelle il perdrait son honneur, serait prêt à faire parler les armes. Il ne s’agit pas de savoir qui a tort et qui a raison mais où se situe cette ligne rouge. Mais, quand on se place soi-même dans le camp du bien, de la vérité, de l’universalisme qui vaut urbi et orbi, alors cette reconnaissance devient difficile voire impossible, et c’est la guerre, la guerre que l’on légitime si on la gagne, la guerre que l’on pleure ou dénie si on la perd. La diplomatie, c’est renoncer à se placer dans le camp du bien et refuser la guerre car la guerre ce sont des centaines de milliers de victimes frappées et fauchées en raison d’arguments qui pour elles, à l’instant d’être frappées, sont dépourvus de sens.

 

16 février 2024

De la soupe pour Monnet

Une fois n’est pas coutume, je me suis assis à la terrasse d’un café. Il faisait beau et j’ai pris place un peu à l’écart de tablées bruyantes et joyeuses. Depuis combien de temps déjà ces jeunes gens et jeunes filles refaisaient-ils le monde ? Grand bien leur fasse, à leur âge, je faisais comme eux. J’avais le temps, je voulais profiter des premiers soleils de février et feuilleter à mon aise un livre d’écrits politiques de Bernanos, injustement confiné au purgatoire des idées. La table voisine de la mienne avait manifestement le temps elle aussi, ces jeunes étudiants étaient-ils en train de sécher un cours ou le programme comportait-il de considérables lacunes ? Une maxime sur l’oisiveté me vint à l’esprit, je ne la retins pas. Il était question entre eux d’une action d’éclat à finaliser. Au fil des éclats de voix, je compris qu’ils avaient l’intention de projeter un récipient de soupe sur une toile du musée. L’idée me parut saugrenue mais pas plus que mettre en ligne une vidéo de petite culotte ou siffler des canettes de bière au point de tomber ivre mort. Ce qui attira mon attention, c’est le sérieux avec lequel il en fut débattu. A l’évidence, ces jeunes gens ne plaisantaient pas, ils avaient bel et bien l’intention de vandaliser une toile de maître. « Pour alerter sur les dangers que court la planète ! », prétendaient-ils. Je ne voyais pas en quoi le vandalisme d’une toile de maître alerterait sur ces dangers mais, à leur décharge, je suis d’un autre temps, un peu ringard ai-je entendu. Ils étaient six, répartis en trois binômes, deux guetteurs pour repérer le moment opportun où les gardiens seraient éloignés, deux filmeurs pour mettre l’événement immédiatement en ligne et deux aspergeurs munis de récipients remplis de soupe qu’il conviendrait de dissimuler à la curiosité des gardiens. Des échanges eurent lieu quant à la teneur et la composition de la soupe mais elles furent vite closes, ils prendraient ce qui tombe sous la main. Je notai aussi des divergences, tous n’étaient pas sur la même ligne. Ils étaient certes tous mobilisés mais pas de la même façon, répartis sur une échelle d’implication selon la sempiternelle loi de Gauss. Un, quatre et un ! Les quatre penchaient tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. S’ils étaient convaincus de la nécessité de mener des actions, ils hésitaient cependant quant aux actes de vandalisme à impact médiatique élevé. Celui des six qui se montrait le plus déterminé – il était en même temps le leader – ne manquait jamais de les reprendre. « Quoi, alors on ne fait rien, on laisse le capitalisme et l’agro-alimentaire continuer à asphyxier la planète ! » La voix était sûre, impérieuse, semblable à celle de St-Just désignant les réfractaires au monde nouveau. Les tièdes n’insistèrent pas. Le leader se tourna alors vers le dernier membre du groupe, une jeune femme un peu timide qui n’avait pas encore pris la parole. « Tu ne dis rien ! », lui dit-il, vindicatif. « On ne s’en prend pas à un grand maître », répondit-elle en rassemblant son courage ! Le leader la dévisagea comme si elle avait blasphémé. « Quoi ! » Je ne lui laissai pas terminer sa phrase et intervins. N’avais-je pas été l’involontaire témoin de toute la conversation ? « Je crois qu’il faut écouter mademoiselle, dis-je, les maîtres méritent un respect inconditionnel et je ne suis pas certain du reste que la cause du climat avancerait ainsi ! » On me dévisagea. Que n’avais-je pas dit ! Il se passa quelques secondes de stupeur avant que le leader ne me traitât de tous les noms, vieux schnoque réactionnaire entendis-je, et qu’on ne m’aspergeât des restes de café et de tisanes au fond des tasses. Les six assaillants décampèrent aussitôt. Le serveur accourut et m’épongea. « Quelle bande de …, dit-il, ils n’ont même pas payé leurs consommations. » J’en fus pour mes frais et me dirigeais vers mon vélo mécanique pour m’en retourner dans ma lointaine périphérie. (NB : ce récit n’est que pure fiction)

Monnet au musée de lyon

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9 février 2024

"Dupont et Dumont", nouvelle au sommaire des "Histoires de la lampe de chevet, tome 18"

Nouvelle d'anticipation qui met en scène, comme aux temps de la STASI, un "surveillant" et un "surveillé"...

La nouvelle s'est vue décerner le 3ème accessit

Un extrait page 99

 

couverture lampe18

avant propos lampe18

page 99 lampe18

20 janvier 2024

Mille signataires pour exclure Sylvain Tesson

vassili grossman

La vie de Vassili Grossman, d’une certaine manière, illustre, à presqu’un siècle d’écart, ce qui est en train de se passer en occident. Né en 1905 dans une famille juive russe, cultivée, il devient chimiste. Mais épris de littérature, patriote, il s’engage dans le conflit germano-soviétique qui éclate en 1941 sous la casquette de reporter de guerre. Il couvre notamment la bataille de Stalingrad et prend alors conscience des massacres de masse (de Juifs) qui ont eu lieu en Ukraine. Ses œuvres témoignent de la réalité de l’entreprise bolchévique sans pour autant en contester la légitimité. Il bénéficie d’appuis de la part de dignitaires, ainsi que de Gorki, Babel, etc. Las ! Ses deux œuvres majeures, Pour une cause juste, et, Vie et Destin, se voient censurées, toutes sources saisies par le KGB. Les apparatchiks ont estimé que les faits n’étaient en rien mensongers mais desservaient l’image du régime. Vie et Destin ne sera publié qu’en 1980, grâce à une fuite à l’ouest. On pourrait évoquer encore la vie de Joseph Brodsky, plus dramatique encore, ou celle de… et celle de… Des apparatchiks qui les ont empêchés, nul nom en revanche n’a transgressé l’oubli. Ils appartenaient à une nébuleuse de fonctionnaires zélés dont l’avancement était subordonné aux résultats et la responsabilité, inexistante. Le système accouchait d’une décision habillée de motifs et l’appareil s’empressait de la mettre en œuvre. Ses commis avaient des lettres, certes, mais du talent ? Pour que l’appareil fonctionne, il était nécessaire qu’ils soient dépourvus d’esprit critique, ne pensent pas. Ils étaient rémunérés, publiaient trois lignes dans une revue d’État, avaient accès aux magasins réservés à l’élite, etc. Peut-on parler de médiocrité en ce qui les concerne ? De leurs rangs n’est sorti rien d’original, seul l’effondrement du Mur de Berlin leur aura fait prendre conscience de l’impasse dans laquelle le collectivisme a conduit le pays. De ces épisodes, nous retiendrons que tout système qui ronronne a besoin de mouches du coche, de trublions, d’Erynnies, au risque de somnoler et ne pas voir le mur proche. Louis XIV protégeait Molière et Corneille, il savait ce que le Royaume leur devait. L’URSS n’a pas su protéger ses Molière et les a jetés en pâture à ses nervis. J’ai commencé cette chronique en parlant de préfiguration pour l’occident et j’y viens à présent avec la mise à l’index de Sylvain Tesson, écrivain voyageur reconnu, pressenti pour présider le prochain Printemps des Poètes. Cette mise à l’index est revendiquée par un collectif de près d’un millier de poètes ou personnes qui se disent poètes. Que reprochent-ils à Sylvain Tesson ? Ni plus ni moins d’être réactionnaire ! En quoi consiste le fait d’être réactionnaire et cela constitue-t-il un motif de récusation ? Le fait d’être ou de ne pas être ceci ou cela constitue-t-il, dans l’absolu, un motif de mise au ban ? « La poésie n’a d’autre but qu’elle-même », disait Baudelaire. Ainsi, avec cette pétition -je n’ose dire épitre – abondamment signée, serions-nous entrés dans un temps post-baudelairien où la poésie se verrait assigner des buts, être ou ne pas être ceci ou cela, exclure ou intégrer tel thème ou tel autre. Nous nous dirigeons désormais vers un temps de travaux dirigés de poésie, pour lesquels le fait d’être réactionnaire vous rendrait définitivement incompétent, un temps d’épreuves disqualifiantes, un temps de mentions obligatoires à condition de n’être pas réactionnaire. Gageons cependant que pas un seul de ces courageux pétitionnaires ne saurait dire ce qu’est exactement le fait d’être réactionnaire. La forme ne compte plus, l’essentiel est de ne plus emprunter certains sentiers qu’ont pourtant foulé d’illustres devanciers. Sylvain Tesson a eu le malheur de passer outre. Un KGB d’un nouvel ordre n’en est pas à s’emparer de ses manuscrits – il n’en a pas encore le pouvoir – mais cherche à l’exclure, à lui fermer des portes, à empêcher sa présence en des lieux où son mérite lui aurait été un sauf-conduit. Peut-être convient-il de faire d’autres parallèles entre le KGB et ces pétitionnaires qui veulent s’illustrer en traquant ce qui déplait à qui les nourrit. Ils sont les nouveaux bureaucrates du goût autorisé. Mais peuvent-ils encore se prétendre poètes ? 

sylvain tesson 2

1 janvier 2024

Paris-Vienne, nouvel an 2024

Wien 2024 THielemann Philarmoniker

À Vienne, c’est le bienaimé chef berlinois Christian Thielemann qui tient la baguette devant l’orchestre philarmonique pour le Concert du Nouvel An. Sourire aux lèvres, de ces sourires qui témoignent d’années de patiente maîtrise et de virtuosité. Les musiciens se lèvent comme un seul homme. Les premières mesures se déploient autant au regard qu’à la baguette. Le chef est à l’unisson. Enchantement. Strauss au programme, et puis encore Strauss et Strauss ! Strauss, cela veut dire bouquet. Bouquet de fleurs, bouquet de notes. Chaque année, c’est la même chose, c’est comme ça depuis…, et il n’est, semble-t-il, plus possible de trouver une place pour le concert de 2025. Les traditions sont respectées. Tout cela est un peu collet monté, convenu, pas de danse, fracs et belles toilettes et déjeuner au Sacher mais, comme disait Benjamin Constant, « les formes préservent de la barbarie. » À Paris aussi, les traditions sont respectées. On y a brûlé un peu moins de voitures, Darmanin veille au grain et aux dérapages. Aux Chamzé, des centaines de milliers de personnes ont fait la fêêêêêteuh, mégawatts, feux d’artifice, strobos et starac, yesssss ! À vingt heures, le locataire de l’Élysée a pris la parole. Mes chers compatriotes ! Vous me mettrez les drapeaux en toile de fonds, je vais leur parler des JO ! Bonne idée, Président, on positive, on positive, parlez-leur aussi des réformes ! « En 2027, nous aurons dix ans d’avance alors qu’en 2017, nous avions dix ans de retard ! » Bref, tout va bien, le capitaine connait son cap, il n’y a pas eu d’émeutes en juin, les banlieues n’ont jamais été aussi calmes, à l’Assemblée Nationale on rivalise de rhétorique courtoise, et le budget n’a jamais été aussi proche de l’équilibre ! « Quant à l’Europe, la France fera tout pour asseoir sa souveraineté ! » Les Français qui, massivement, s’expriment pour le retour de la souveraineté nationale en sont pour leurs frais, leur Président ne mange pas de ce pain-là. Il ne s’adresse qu’au petit nombre qui croit encore en lui et laisse glapir tous les autres. En 2027, il fera autre chose… À Vienne, Thielemann s’adresse à toutes les sections de l’orchestre, il n’en oublie aucune, il fait corps avec son peuple musical et, après les rythmes andante du Beau Danube Bleu, donne le signal de la Marche de Radetzky, d’abord mezzo voce, le public tenu au silence avant d’être invité à se joindre aux musiciens par des applaudissements en rythme. Les traditions sont respectées. Quand elles le sont, la fantaisie peut se donner libre cours, elle sait qu’elle n’est que fantaisie.  

1 janvier 2024

Voeux 2024

bonne année 2024

30 décembre 2023

LA DAUPHINE ROUGE, nouvelle au sommaire de la Revue La Femelle du Requin n°(!

FemReq58-1

FemReq58-2

 

un extrait: 

FemReq58-3

11 décembre 2023

Apparence et réalité, fascisme et liberté

chirico

Apparence et réalité, fascisme et liberté. Le réel est sans doute le concept le plus difficile à définir. A priori nombreux sommes-nous à prétendre que le réel, c’est ce qu’on voit, entend ou sent ! Prétendre que le réel consiste en la somme des perceptions de nos sens. Lorsque devant nous se tient un chat, nous ne doutons pas de la réalité de ce chat dont nous rapprochons l’apparence de toutes celles de chats enregistrées dans notre mémoire et nous affirmons : ceci est un chat. Le fait que nous aurions pu remplacer le mot chat par l’allemand Katze ou l’anglais cat ne change rien à l’affaire. Mais ce chat, d’où vient-il, que veut-il ? Est-il perdu ? S’il nous appartient et que nous sommes avec un ami qui ignore ce fait, cet ami ne voit pas non plus que le chat revient tout bonnement vers son maître. Ainsi le réel ne se limite pas aux seules perceptions, il se compose de ce qu’on voit et d’autres choses qui ne se voient pas forcément. Dans le cas d’un chat qui devant nous vient se planter, il n’est pas très important de savoir d’où il vient, ce qu’il veut, à qui il appartient. Ce sont là des lambeaux de réel qui tôt ou tard apparaissent. Apparaître ! Le réel contiendrait-il des données qui n’apparaissent pas au premier regard ? Avant de se donner, le réel apparait et ses apparitions ne sont pas équivalentes. Lorsque nous sommes de sortie en un lieu mondain, nous nous efforçons d’apparaître sous notre meilleur jour. Nous ne nous donnons pas alors pour ce que nous sommes, nous voulons apparaître tels que nous voudrions que les autres nous voient. Cette apparence fait encore partie du réel mais elle ne l’épuise pas. Et il en va de ce que nous voyons au même titre que ce que les autres voient de nous. Parfois, parvenus sur un promontoire, nous regardons le paysage mais, les uns et les autres, nous ne voyons pas la même chose. Untel voit au loin une maison que nous reste cachée. Il nous faut alors nous décaler, faire un pas de côté comme disent les maîtres à penser. Il s’agit pourtant d’une seule réalité dont nous ne voyons que des apparences, différentes selon la perspective. Perspective ! Nous comprenons bien que les apparences changent selon les perspectives, les points de vue. Tous les points de vue ne se valent pas, certains nous permettent de voir des éléments que d’autres nous cachent. Ce que le regard embrasse depuis un sommet est plus vaste que ce qu’il embrasse depuis le fond de la vallée, tous les alpinistes savent cela. Le peintre, lui, ne cherche pas forcément à embrasser le plus de choses possibles, mais à se tenir en un lieu où il peut en embrasser un certain nombre dans une harmonie de composition, d’éclairage, de sens, etc. Il en va des considérations historiques comme des paysages et des tableaux, il faut ne pas s’en tenir à ce qui nous tombe sous les yeux, ou bien, ce qu’on accommode pour nos yeux. Accommoder ! D’aucuns s’emploieraient donc à ce que nous ne voyions pas ce qu’en temps ordinaires nous verrions, voire que nous voyions des éléments qu’en temps ordinaires nous ne verrions pas quelle que soit la perspective ! Que nous voyions autre chose que ce qu’il y aurait lieu de voir. Il y a ainsi des tours de passe-passe subtils qui agissent sur nous comme de la poudre aux yeux, d’autres, plus grossiers, nous apparaissent en revanche comme un nez au milieu de la figure. On emploie les expédients qu’on peut, les faussaires ne sont pas tous talentueux. Ayant découvert l’imposture, nous nous insurgeons et attirons l’attention des distraits sur ce que nous avons identifié comme telle. Le réel qui apparait sur les écrans est dépourvu de perspective, au sens propre et au sens figuré. Il nous est impossible de faire un pas de côté. Celui qui nous fournit cette apparence du réel a choisi son point de vue et, en général, évite de nous donner les clés de lecture pour l’évaluer, identifier ce qu’il peut avoir de réduction ou d’imposture. Ceux qui détiennent et fournissent les apparences du réel, que nos yeux ne voient pas directement, peuvent avoir intérêt à ce que nous en voyions une certaine apparence bien précise et pas une autre, ou pas celle qui serait plus complète, exhaustive, etc. Un état où chaque citoyen peut, des événements, changer de perspective de lecture et d’interprétation, parce qu’il a un doute sur celle qui lui est proposée, un tel état fonctionne sous le régime de la liberté. A contrario, la restriction des perspectives de lecture, ou l’obligation de lecture univoque, relève du fascisme. Soljenitsyne disait que, pendant soixante dix ans, l’occident ignorait ce qui se passait derrière le Rideau de fer, pour la simple raison que le régime s’auto-racontait. Comprenne qui pourra !

25 novembre 2023

La nouvelle LE BUNKER, publiée dans Revue l'Ampoule HS14

La nouvelle LE BUNKER au sommaire de l'incontournable revue l'AMPOULE, dans son numéro hors série 14, publiée par les Editions de l'Abat-Jour. Parution nous dit-on vers le 20 décembre... une idée de cadeau!

 

couverture HS14

sommaire ampouleHS14

 

Capture d’écran 2023-11-24 à 16

25 octobre 2023

Le Goriot de Balzac

balzac

Le roman est écrit en 1834, à Saché. Balzac va sur ses trente-six ans, un tournant dans sa vie et dans son œuvre. Goriot inaugure la veine romanesque dite réaliste. Je lui préfère le qualificatif, naturaliste. Mais la richesse de la palette, les débordements de pinceau du peintre Balzac en font une œuvre fantastique à plus d’un titre. 

Le personnage de Vautrin par exemple, haut en couleur, ancien bagnard, cynique, intriguant, scélérat, mais capable de générosité, avait très certainement un rond de serviette à la table de Méphisto. À se demander si Balzac n’a pas lu, dévoré, le Faust de Goethe, dont la seconde version parait en 1832. Le Goriot est la matrice, le creuset, la forge de l’œuvre. On y rencontre le jeune aristocrate de province, pauvre et ambitieux, Eugène de Rastignac, que le fieffé mais non-antipathique Vautrin prend sous son aile. La baronne Delphine de Nucingen, fille de Goriot, bien dotée par son père que pourtant elle plume allègrement, sa seule ambition étant de quitter la périphérie de roture pour entrer dans les cercles de St-Germain. La comtesse Anastasie de Restaud, autre fille de Goriot, également bien dotée par lui, également sans scrupules pour plumer son père afin de couvrir les dettes de jeu de son amant. La vicomtesse Claire de Beauséant, cousine d’Eugène qu’elle présente au monde, coqueluche de St-Germain chez laquelle les filles Goriot intriguent pour être reçues au bal. On y entend les noms de Rochefide, Langeais, Montriveau et d’autres encore. Goriot est la souche sur laquelle se greffent d’autres branches, Splendeurs et misères des courtisanes, La maison Nucingen, La Duchesse de Langeais, Béatrix, Illusions perdues…Le roman avance au rythme des besoins d’argent des filles Goriot, des démarches d’Eugène pour avancer dans le beau monde et des intrigues de Vautrin pour favoriser sa fortune. Goriot est un parvenu, un homme du peuple qui a fait fortune sous la Révolution et l’Empire en tant que vermicellier, retiré dans la modeste pension Vauquer du quartier populaire St-Geneviève d’où il suit avec discrète gourmandise les progrès de ses filles. Mais il en est peu à peu éloigné car il fait tache dans leurs salons. « Ce devait être une bête solidement bâtie, capable de dépenser tout son esprit en sentiment », dit de lui Mme Vauquer, la matoise logeuse. De même s’éloigne-t-il du rez-de chaussée de la pension, d’abord le second étage puis une mansarde, à mesure qu’il se dépouille de ses rentes pour éponger les dettes de ses filles. Mme Vauquer avait un temps nourri un espoir à son encontre mais, dédaignée, « alla nécessairement plus loin en aversion qu’elle n’était allée en amitié. Sa haine ne fut pas en raison de son amour, mais de ses espérances trompées. Si le cœur humain trouve des repos en montant les hauteurs de l’affection, il s’arrête rarement sur la pente rapide des sentiments haineux. » Celui qui en parle le mieux est peut-être Vautrin : « ces gens-là chaussent une idée et n’en démordent pas. Ils n’ont soif que d’une certaine eau prise à une certaine fontaine, et souvent croupie, ils vendraient leurs femmes, leurs enfants ; ils vendraient leur âme au diable… Le père Goriot est un de ces gens-là. La comtesse l’exploite parce qu’il est discret ; et voilà le beau monde ! Le pauvre bonhomme ne pense qu’à elle. Hors de sa passion, vous le voyez, c’est une bête brute. » 

Balzac-Goriot-Eugene-Vautrin

Quant à Eugène, sa cousine la vicomtesse de Beauséant lui sert de marchepied pour approcher Delphine de Nucingen dont il s’éprend. Vautrin devine Eugène et lui propose un marché diabolique qu’il refuse mais dont les termes sonnent tout au long du roman comme un refrain. « Une rapide fortune est le problème que se proposent de résoudre en ce moment cinquante mille jeunes gens qui se trouvent tous dans votre position. Vous êtes une unité de ce nombre-là. Jugez des efforts que vous avez à faire et de l’acharnement du combat. Il faut vous manger les uns les autres comme des araignées dans un pot, attendu qu’il n’y a pas cinquante mille bonnes places. Savez-vous comment on fait son chemin ici ? Par l’éclat du génie ou par l’adresse de la corruption. » La vicomtesse elle non plus n’est pas tendre. « Eh bien, monsieur de Rastignac, traitez ce monde comme il le mérite. Vous voulez parvenir, je vous aiderai. Vous sonderez combien est profonde la corruption féminine, vous toiserez la largeur de la misérable vanité des hommes… Plus froidement vous calculerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié, vous serez craint. N’acceptez les hommes et les femmes que comme des chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais. » Balzac a alors trente-six ans, il a déjà fait ses pas dans le monde, s’est ramassé des gamelles, a beaucoup appris de ses échecs. Il est devenu à la fois Rastignac qu’il fera réussir et Vautrin dans la bouche duquel il met tout le cynisme qu’il n’aura pas lui-même. Dans Goriot, Balzac devient à la fois Jekyll et Hyde et dès lors ne va cesser de déplier les multiples scènes de la Comédie Humaine.

Balzac-Goriot par Daumier

Deux réflexions viennent à l’esprit. D’une part l’omniprésence de l’argent dont les francs et louis sonnent à la fin de chaque scène. Les héros sont ruinés, toujours à la recherche d’expédients pour financer le train de vie correspondant à la condition qu’ils croient être la leur ou à laquelle ils aspirent. Ils ne parlent que de rentes, de traites et de dettes. Souvent il leur manque les trois sous pour payer le cocher qui les ramène chez eux. Les charrues sont largement mises avant les bœufs. L’ascension sociale n’est pas, plus, ou pas encore, affaire de mérite mais d’intrigue, de cooptation, de poudre aux yeux. Les quelques personnages qui en revanche restent à leur place sont présentées par Balzac comme de peu d’intérêt, des gagnepetits selon les termes qu’il prête à Vautrin. Le Paris des années 1830 était-il ainsi ou Balzac le voyait-il ainsi ? Il faut attendre quelques décennies encore pour que Hugo et Zola s’intéressent au peuple lequel sera alors vu sous le prisme de la lutte des classesA contrario, ce peuple échappera à sa condition chez Huysmans ou d’autres écrivains catholiques qui chercheront à voir dans la pauvreté non pas la misère mais la dignité de l’épreuve. Très jeune, Balzac a fait état de ses choix légitimistes. Fait-il un lien entre la corruption, les expédients auxquels conduisent les ambitions débridées, et l’éclipse de l’aristocratie qui pourtant reste un phare ? À preuve, la vicomtesse de Beauséant qui est le seul repère aristocratique auprès de qui tous les parvenus cherchent une légitimité. Le monde issu de quatre décennies de Révolution, Empire et Restauration semble avoir perdu sa colonne vertébrale et c’est là la seconde réflexion. Point de cela en revanche chez Jane Austen au début du siècle. La Liza Bennett de Pride and prejudice aime Darcy et en est aimée mais ne consent à cet amour qu’après avoir trouvé comment s’accommoder des obstacles liés aux différences de leurs conditions. La colonne vertébrale est là, elle subsistera sans doute plus longtemps outre-Manche. De ce côté-ci, cependant, une boîte de Pandore semble ouverte et beaucoup de gens se donnent des airs qu’ils ne peuvent soutenir. Syndrome d’égalité ? D’une certaine façon Balzac donne raison à Vautrin, l’un des personnages récurrents de la Comédie Humaine. Balzac est grand d’avoir saisi et dépeint ce trait de son siècle, peut-être la lutte des classes ne s’est-elle répandue que par renoncement à retrouver ce qui a été perdu en 1793. 

Si les personnages cèdent à d’aussi longues tirades, c’est que leurs attitudes et démarches ne tombent pas sous le sens. Ils prennent la parole plus souvent qu’à leur tour et, la prenant, la gardent, la savourent, la développent, la déversent. L’intrigue, parfois, semble réduite à une trame de scènes où chaque personnage, tour à tour, vient déclamer son propos, mais Balzac songe à reprendre la main pour dire ce qu’il a envie de dire de son siècle et que le personnage n’était pas légitime à dire lui-même. « Pendant sa première année de séjour à Paris, le peu de travail que veulent les premiers grades à prendre dans la Faculté l’avait laissé libre de goûter les délices visibles du Paris matériel. Un étudiant n’a pas trop de temps s’il veut connaitre le répertoire de chaque théâtre, étudier les issues du labyrinthe parisien, savoir les usages, apprendre la langue et s’habituer aux plaisirs particuliers de la capitale… Un étudiant se passionne alors pour des niaiseries qui lui paraissent grandioses. », dit-il à propos d’Eugène. Quelques décennies plus tard, Dostoïevski lira Balzac et poussera jusqu’à la profusion la faconde de ses personnages, cf. la longue plaidoirie de Mitia Karamazov le jour de son arrestation ! Balzac mettra dans la bouche du Goriot agonisant une longue et déchirante plainte, dont un mourant ne saurait pas dire trois lignes, mais dans laquelle sont convoquées toutes les vanités humaines.  

Et sublime, et dantesque, est cette dernière scène où Rastignac, qui avait pris le bonhomme en amitié, est presque seul à suivre le corbillard dont il acquitte lui-même le débours, tandis que suivent deux calèches vides aux armoiries de ses filles, absentes au chevet de leur père. Le dilemme de Rastignac est grandiose, partagé entre son amour pour une femme absente aux funérailles de son père et l’horreur que lui inspire ce monde. « À nous deux, Paris ! », sont ses derniers mots. Eugène se rend alors chez la baronne de Nucingen dans un état d’esprit dual dont on ne sait quel côté l’emportera.

19 octobre 2023

Pourquoi ça plutôt que rien?

leibnitz-monadologie-1

Pourquoi ça plutôt que rien ? Question à laquelle un auteur se propose de répondre dans son prochain opus et je suis impatient d’en connaître la teneur. Au premier abord, je me suis dit, tiens, une variante de la question de Leibnitz. Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? Quelque chose !  Rien du reste ne nous prouve que ce quelque chose, objet de notre étonnement, ne soit pas une illusion collective, borgésienne, dont nous ferions partie. Car enfin, toutes ces sensations dont nous nous plaisons à dire qu’elles sont des preuves du réel, pourquoi ne seraient pas, elles aussi, illusoires ? Mais la question de notre auteur au grand dessein marque une nuance par rapport à Leibnitz. Il parle de ça !  Çà !  Diable ! Quand on rentre dans la chambre mal rangée d’un ado ou qu’on arpente une rue de Paris mise à sac par un défilé, on s’exclame, regardez-moi ça ! Çà, c’est ce dont on estime ne pas faire partie, ce au-dessus de quoi on estime être, le paquet de torchons dans lequel on ne voudrait pour rien au monde que notre serviette ne tombe. Ce qui nous met devant une contradiction car notre auteur, spirituel, so mutch, en parlant de ça de la façon dont il en parle désigne en réalité l’ensemble du réel dont, ne lui en déplaise, il fait partie, ontologiquement et même pragmatiquement. Il y a une autre nuance car en parlant de ça, non seulement il laisse entendre que ça n’a rien de folichon (c’est même plutôt le bordel) mais de surcroît il s’en lave les mains. Il n’y est pour rien. Quand il est arrivé, c’était déjà comme ça, à la différence que lui, éclairé and in progress, va nous en faire un tableau. S’en lavant les mains, dégagé donc de toute responsabilité, il n’a nullement l’intention de retrousser les manches, ni rejoindre les rangs de ceux qui tentent d’améliorer les choses, de transformer le ça inacceptable en ça acceptable. Notre auteur va simplement chercher à se tenir à distance, éviter de marcher dedans comme on évite une crotte de chien, il est au-dessus de ça. La faute des pères retombera sur les fils, mais lui n’est le fils de personne, il est arrivé par sa seule volonté et entend bien laisser aux autres le soin de s’occuper de ça. Non mais !

18 octobre 2023

Faut-il protéger les artistes et les écrivains?

michel ange sixtine

Les Grecs et les Romains protégeaient les leurs, aussi reste-t-il de considérables témoignages de ces époques, architecture, peinture, sculpture, littérature, etc. Il y a, en Occident, des périodes moins fécondes en œuvres (cf le haut Moyen-âge, avant l’art roman). Ces siècles-là ne manquaient pas d’individus en qui le talent aurait pu éclore mais de circonstances pour qu’il en fût ainsi. Les modes de vie peuvent plus ou moins favoriser l’éclosion artistique, ainsi les peuples nomades développent-ils avant tout un art aux objets mobiles, cela autorise les petites statuettes en bois, le travail du cuir ou les bijoux en or mais exclue les temples et le travail sur le marbre. Notre Occident contemporain est, du point de la vue de la protection des artistes et des écrivains, particulièrement remarquable, ils y sont à la fois surprotégés et renvoyés à l’anonymat. Les mécènes tels les Sforza ou les Médicis, lesquels distinguaient Léonard ou Michel-Ange au détriment d’autres artistes moins méritants, opéraient une sélection certes cruelle mais, dans leur cas, heureuse. Il y a beaucoup à dire sur la résonance entre le mécène et l’artiste qu’il protège. De l’arbitraire mais aussi de l’élévation, de hautes exigences ! Les choses se passent-elles ainsi dans l’Occident contemporain ? Très peu de mécènes désormais du moins dans l’esprit de la Renaissance, mais de considérables politiques publiques dotées de fonds publics ! Aux mains de qui cependant ? Les technocrates censés mettre en œuvre ces politiques censées être l’expression du vote démocratique parviennent-ils à trouver les Leonard, les Michel-Ange, les Dante et les Scarlatti en germe dans le siècle ? On jugera de cette question en considérant qu’une œuvre d’art désormais doit convenir au plus grand nombre, peut-être même répondre à des critères de cahiers des charges pour figurer dans les lieux d’exposition, musées, galeries, fêtes de la musique, librairies et prix littéraires où les consommateurs d’art seront invités à se rendre moyennant un droit d’entrée. Tout cela fonctionne comme un trou noir, non pas cosmique mais artistique, comique peut-être, qui laisse sur les marges un certain nombre de Leonard et de Michel-Ange ne trouvant pas chaussure à leur pied. Faut-il encore protéger les artistes et les écrivains lorsqu’il suffit de répondre à un cahier des charges ? 

illustration: Michel-Ange, détail de la Chapelle Sixtine

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