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site de Roland Goeller
4 mai 2020

Crise sanitaire ou culturelle

Penseur - Rodin

La culture est une dimension subtile de l’esprit qui ne se manifeste que par ses effets et son absence est aussi imperceptible que la lumière pour un aveugle. La crise que nous traversons, que la France et d’autres pays traversent comme elle la traverse, a révélé de profondes carences. Celles-ci n’apparaissent qu’en comparaison des stratégies déployées et des résultats obtenus par d’autres pays, et les élites chargées de la conduite du pays semblent ne pas être en mesure d’évaluer ses carences. Pourtant, il ne manque pas d’esprits cultivés et avisés, il ne manque pas non plus d’experts reconnus dans leurs domaines de compétence, mais il semblerait que les uns et les autres aient été absents dans la gestion de cette crise. Leurs voix se sont certes fait entendre, mais de façon marginale, en dehors des instances d’administration et de décision parmi lesquelles ils ne siégeaient pas. 

L’État français du reste ne souligne que le caractère sanitaire de la crise sans aborder le caractère anthropologique et civilisationnel. Les choses se passent comme si les responsables en charge de la conduite des affaires publiques étaient incapables de recul et de hauteur, qu’ils administraient le pays au jour le jour selon des réflexes paniqués d’action et de réaction, mais sans réactivité intelligente[1], dans un fort contexte d’improvisation. Les démentis succèdent aux prises de position hasardeuses et bravaches, exprimées avec la désinvolture de qui est investi d’un pouvoir dont il ne mesure ni les responsabilités ni la gravité. La comédie des masques serait comique si elle n’était pas grotesque, et l’incapacité de mettre en œuvre des procédures efficaces d’appels d’offre pour l’acquisition de masques et de tests est proprement scandaleuse. Le pays pourtant ne manque pas de virologues, d’experts, de collapsologues[2] et de stratèges qui avaient anticipé le type de crise qui l’a surpris dans son impréparation. Toutes ces personnes savaient comment réagir avec hauteur, du moins ils en avaient une idée, ils avaient recommandé des anticipations, mais ils ne sont ni au pouvoir ni dans les cercles proches du pouvoir. 

Je suppose, je me vois dans l’obligation de supposer que les hommes au pouvoir se sont entourés de jeunes énarques, avocats et sociologues bardés d’instruments de mesure et de statistiques auxquels, précisément, quelque chose fait cruellement défaut. De l’expertise dans des champs scientifiques, médicaux et techniques, sans doute, ils en pallient l’absence en suscitant d’innombrables comités, cercles de consultants et commissions. Mais aussi de ces choses difficilement mesurables que sont l’autorité et la culture. Peut-être parce que les hommes de pouvoir en manquent eux-mêmes et qu’il leur manque aussi l’humilité de s’entourer de personnes[3] qui pourraient leur en remontrer, souligner leurs propres carences, et ce manque est déjà révélateur d’une absence de culture[4]

Il faut certes que les hommes de pouvoir s’entourent de jeunes énarques capables d’appréhender dans son ensemble une situation donnée[5] et de trouver les éléments de langage, mais il faut aussi des hommes de savoir et de culture pour en identifier les perspectives et les angles morts, pour les interpréter et mettre en évidence ce qui dans les événements reste caché. Et pour être entendus, ces derniers doivent disposer d’autorité, vertu qui résulte à la fois de la compétence et du crédit accordé à celle-ci. A l’évidence, de tels hommes ne se trouvaient pas dans les cercles rapprochés du pouvoir et leurs voix sont restées inaudibles au milieu du vacarme médiatique auquel se livrent Mme la Secrétaire d’État chargée de communication de l’Élysée[6] et les journalistes de BFM.TV. 

Cette crise pose dès lors la question cruciale de la sélection des élites et de leur accession aux responsabilités. En 1940, le généralissime Weygand[7] faisait le constat, amer, de l’inefficacité de la chaîne de commandement, laquelle avait déjà failli de façon dramatique lors de la guerre de 1870 contre l’Allemagne prussienne. Bien des pages écrites par Marc Bloch[8] ou par Rebatet[9] restent d’actualité pour décrire la calamiteuse[10] gestion de la crise par les hommes en charge des responsabilités. La France non seulement n’a rien appris de son histoire mais la désuétude dans laquelle est tombée la culture, la culture générale, les humanités, la maîtrise des langues mortes jusques aux langues vivantes, la connaissance de l’histoire, le goût des arts et de la littérature, cette désuétude induit cette situation absolument paradoxale que la France ne sait plus même qu’il y a quelque chose à en apprendre. Mais le Moyen-âge lui aussi ignorait qu’avant lui vivaient des Virgile, des Cicéron, des Pythagore, des Aristote, etc., hormis quelques esprits curieux lesquels, souvent ermites ou confinés dans quelque ordre régulier, se sont chargés de sauver ce qui pouvait l’être jusqu’à ce que le sens commun veuille à nouveau s’en emparer et en tirer gloire. 



[1] Celle qui sait se projeter à moyen et long terme. 

[2] Souvent considérés comme des prophètes apocalyptiques, voire des charlatans, mais, en leurs temps, Orwell, Huxley ou Philipp K. Dick ont sans doute été affublés des mêmes épithètes

[3] Selon un nombre croissant de témoignages de personnes proches du pouvoir, il apparait que ce dernier fonctionne en vase clos, avec une succession d’a-priori et d’oukases, le président et son entourage décident unilatéralement, les ministères sont mis en demeure de mettre en œuvre, et le réel contraint au chausse-pied indépendamment de la faisabilité. « Hors sol », s’exclame Mme Frédérique Dumas, ex-députée macroniste.

[4] Dont l’un des effets est de prendre conscience de l’ampleur de ce qu’on ignore par rapport à ce que l’on croit savoir.

[5] Cette compétence se rapproche bien plus de l’intelligence algorithmique capable d’analyser un grand nombre de données, selon des modèles mathématiques, et d’en déduire des synthèses et des conséquences, mais c’est précisément là où le bât blesse. En effet, la réalité n’est ni modélisable ni numérisable, et sa perception, son appréhension, sa compréhension relèvent autant de l’intuition que de l’intelligence. Aussi convient-il de limiter les schémas intellectuels et théoriques, de limiter les instruments de mesure à surveiller, et de s’en remettre pour une grande part à l’intuition, mais cela suppose une culture, un aplomb, un recul, une attitude méditative et que sais-je d’autre, toutes dispositions d’esprit qui, en apparence, semble ne pas s’acquérir dans nos prestigieuses écoles de management et d’administration.

[6] On lui prêterait ce propos : « La parole politique est performative », ce qui ne veut pas dire grand-chose ou plutôt : le contenu de la parole politique est interchangeable a posteriori. 

[7] Le 25 mai 1940, il aurait tenu ce propos : « La France a commis l’immense erreur d’entrer en guerre en n’ayant ni le matériel qu’il fallait, ni la doctrine militaire qu’il fallait. », source Documents secrets de l’État-major général français.

[8] L’étrange défaite

[9] Les Décombres, livre injustement mis sous le boisseau amnésique par un aveuglement idéologique qui consiste à jeter le bébé avec l’eau du bain, à considérer comme irrecevables les contributions éclairées d’un homme par ailleurs compromis

[10] Ne pas tenir compte des alertes, perdre un temps précieux, confiner un pays entier pendant une longue période et le priver des ressources économiques nécessaires à son rebond, générer des situations dramatiques, plutôt que d’identifier à temps et disposer, ou se mettre en situation de disposer, d’outils pour mettre en quarantaine les individus contaminés, comme cela a été fait du reste en Allemagne, au Vietnam, en Corée et peut-être même en Chine. 

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