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site de Roland Goeller
18 avril 2024

Réflexion sur les institutions

La lecture du premier chapitre de l’Effort, dans les Mémoires d’Espoir, est à cet égard révélateur. De Gaulle fait le récit de la dernière partie de la mutation institutionnelle qui s’achève avec le référendum du 28 octobre 1962, où 62% du corps électoral s’est prononcé en faveur de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, en d’autres termes, le plébiscite d’un homme et l’instauration d’un référendum septennal que d’aucuns de ses contradicteurs ont voulu non sans raison présenter comme un coup d’état permanent. Avec sa verve parfois féroce, de Gaulle multiplie les anecdotes à propos des obstacles qu’avaient alors dressés les parlementaires de tous bords. « Mais précisément, comme toujours, le principe même d’une décision directe du peuple est odieux à toutes les anciennes catégories politiques[1] », ou encore « Quant à croire que la sagesse prévaudrait à l’Assemblée lors qu’elle se saurait condamnée à retourner devant les électeurs…, ce serait méconnaître les astucieux détours dont se serviraient les groupes pour faire sortir les ministres sans renverser le ministère ni provoquer la dissolution.[2] » Deux impensés se manifestent cependant en creux dans ce texte, le premier concerne le peuple, le second la personnalité du Général lui-même, auteur du texte. Considérons le premier ! Il apparait que le référendum du 28 octobre est avant tout un suffrage d’adhésion et de confiance. On ne niera pas que la crainte de retomber dans les errements de la IVe ne fut pas absente dans l’expression populaire mais cette crainte entrait explicitement dans l’objet de la consultation. Le peuple semblait d’avis que l’essentiel de ses préoccupations était de mettre en place des institutions stables. Il sortait de la guerre, des restrictions et du rationnement, des ignominies de la Collaboration, de la guerre civile en Algérie, de la sédition militaire et de la valse des cabinets, etc. Il ne se posait pas ou peu de questions sur son identité, ses orientations culturelles et cultuelles, ses divisions communautaires. Il voulait une stabilité et pourquoi pas celle que lui offrait le Général. Les opposants de ce dernier, à savoir les parlementaires et notables de la IVe, - et j’en arrive au second impensé - n’en présentaient pas moins des objections sensées. S’en remettre par un suffrage direct à un homme, même pour une période limitée à sept ans, c’était prendre le risque de la carte blanche voire de la dictature comme n’ont pas manqué de le souligner certains dont l’histoire ne retiendra que leur talent à contrarier. Et c’est là qu’intervient la personnalité du Général dont on connaissait l’Appel du 18 juin, l’opposition au régime de Vichy, l’action prépondérante pour sauver la France de la menace de l’Amgot américain, etc. Le Général était-il vraiment un homme dont il faille craindre les ambitions personnelles et un goût tardif pour la dictature ? Il fallait être zouave ou notable bien sous tous rapports pour le croire !  Aussi nous permettons-nous d’affirmer qu’au référendum du 28 octobre 1962 se sont rencontrés un peuple et un homme sur la même longueur d’onde. Qu’en est-il cependant aujourd’hui ? Le 24 avril 2022, Emmanuel Macron a été réélu avec 58% des votants et 38% des inscrits parmi lesquels les commentateurs observent que 40% des voix se sont portées sur lui pour faire barrage à l’autre candidat, autant dire un suffrage de défiance et de rejet, alors même que l’action politique suppose au préalable des choix clairs ainsi qu’une confortable adhésion. A l’évidence, une période de crise s’ouvre, plus accentuée qu’au cours du quinquennat passé car les espoirs déçus et les confiances trahies se sont multipliés. Ne tentons pas non plus d’en esquisser des signes. Pour se livrer à cet exercice il faudrait prendre en compte la conjoncture internationale, instable comme l’on sait. Restons-en au fonctionnement institutionnel ! Qu’est-ce qui n’a pas marché ou qui ne marche plus ? À l’évidence, le corps électoral ne présente plus l’unité et la cohésion de 1962. Il est traversé par plusieurs lignes de forces qui le divisent et rendent difficile sa propre prise de conscience. Son dessein lui est devenu obscur. La cohésion territoriale est facturée, métropoles choyées par les politiques publiques contre zones rurales délaissées. Grand marché mondialisé contre marchés locaux. Enracinement contre déterritorialisation voire déconstruction. Agnosticisme post-chrétien en butte à des communautés définies par leur culte. Roland Garros contre Championnat de première division. Élites contre ploucs, pourrait-on ajouter avec toute la prudence nécessaire ! De ces multiples lignes de force, ne se dégage aucun flux majoritaire et les expressions qu’en proposent les partis politiques ne vont pas toujours dans le sens de la clarté. Excès et déni rivalisent d’intensité pendant que les ambitions personnelles et les notables avancent leurs pions. Au final, l’élection est emportée au centre, là où il est convenu de s’occuper de questions d’intendance et d’éviter celles qui fâchent. Le consensus ne se fait plus a maxima mais a minima. Et l’homme qui l’emporte se veut en même temps. Ses convictions sont suffisamment extensibles pour que chacun trouve à boire et à manger, mais reste sur sa faim quant aux attentes profondes. Emmanuel Macron est-il pour autant taxable d’hybris et d’ambitions trop personnelles ? Un certain nombre d’indices pourrait le laisser penser. Ainsi du recours trop systématique à McKinsey ? Mais on peut entendre aussi qu’il ait voulu une certaine efficacité. Ainsi de certaines formules malheureuses comme « il n’y a pas de culture française » ? On sent l’homme dépassé par certaines questions qu’il veut éviter, peut-être pour ne pas en avoir affronté le tranchant. Ce n’était pas le cas de De Gaulle qui a connu l’époque où il n’était pas certain que la France survive à l’adversité et à son chaos politique. Et nous touchons là au second terme de l’équation, le peuple qui ne sait plus qui il est se porte à la rencontre d’un homme qui, ne sachant pas d’où il vient, ne sait pas non plus où il veut aller, un homme non pas déméritant mais auquel les événements n’ont pas conféré une stature de héros et qui ne sera pas entré dans l’histoire avec un appel du 18 juin. La constitution de la Ve suppose deux conditions, implicites, qui ne sont plus réunies et à l’absence desquelles aucune loi ne pourra porter remède. Aussi, la question de l’évolution de cette constitution se voit-elle posée, en lien indissoluble avec cette autre question d’un peuple qui se cherche. À moins de prétendre : « Puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple ![3] »

 

[1] De Gaulle, Mémoires d’espoir, L’effort 1962-…

[2] Id.

[3] Berthold Brecht

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