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site de Roland Goeller
11 juin 2010

Les lapins de Mars (***)

Quelque part en Russie, dans un laboratoire souterrain, cinq astronautes s’apprêtent à passer 500 jours dans un espace confiné, afin de simuler les conditions d’un voyage vers la planète … Mars et surtout de permettre d’apprécier les difficultés d’ordre psychologique qui ne manqueront pas de se poser. A la télévision française, Carole Gaessler prend à témoin un spécialiste : 500 jours à destination de Mars, est-ce un rêve ?

 

Arrêtons nous sur cette question et sur ce qu’elle suppose, non pas des a priori de la journaliste, mais de la pensée de notre temps, dont la journaliste se fait un devoir de donner une image la plus fidèle possible.

Car bien entendu la réponse attendue est celle-ci : oui, trois fois oui, il s’agit d’un rêve(**), et la seule question est de savoir qui aura assez de courage, qui sera assez fou pour consacrer 500 jours de sa vie à ce rêve. Et j’entends d’ici (et maintenant ?) les défenseurs du rêve brandir la batterie de leurs arguments imparables : nous en apprendrons plus sur les origines de notre galaxie, de l’humanité, la science fera des progrès considérables, la connaissance de prodigieux bonds en avant, Galilée, Neil Armstrong …

Et après ?

Et après !

A la vérité, que me chaut de savoir d’où vient notre galaxie ? Suis-je vraiment un incorrigible obscurantiste de m’obstiner à supposer que la connaissance des origines ne me donnera pas forcément une pensée des origines ? Songeons avec quels moyens de fortune (et une prodigieuse intuition) les présocratiques étaient parvenus à la connaissance de la rotondité de la terre, des cycles de la lune, de la précession des équinoxes (un cycle de 25 600 ans dont la mesure et l’observation étaient tout simplement impossibles), mais aussi à la connaissance de ces grands espaces vides à l’intérieur de la matière, laquelle se résume à de petites sphères interactives que les matérialistes nommèrent atomes. Songeons, et nous aurons une idée de la vaniteuse prodigalité de nos entreprises contemporaines. Car les présocratiques ne disposaient de nul microscope électronique, nul accélérateur de particules, nul voyage sur la lune ! De l’observation, de l’intuition, sans doute de la modestie, et une pensée de la globalité, rien d’autre.

Bien sûr, je ne nie pas qu’un voyage à destination de la lointaine planète Mars ne nous fournisse des fragments, des matériaux, des aperçus, des petits détails dont les scientifiques de tous poils s’extasieront durant des décennies. Mais je doute fort que toutes ces petites choses nous fassent progresser d’un iota dans l’exploration des grandes questions qui nous préoccupent et qui, toutes me semble-t-il, se réduisent à des choix métaphysiques.

Et je laisse aux fous l’insigne honneur de s’enfermer pendant 500 jours dans un caisson propulsé à la fois vers la lointaine planète rouge et vers leurs chimères collectives, et d’affronter une solitude à côté de laquelle une prison d’état aura des allures de villégiature. Car nul parfum d’Odyssée dans ce voyage, nuls Cyclope ou Phaéciens à combattre, nulle Circé ensorcelante à qui résister. Seul attend, ces intrépides aventuriers, le vide intersidéral, peuplé des fantasmes d’une connaissance dont l’objet recule à mesure qu’on s’en approche, dans un mouvement que l’on s’efforce à tenir pour un progrès mais qui n’est, à bien prendre les choses, qu’une interminable et vaniteuse fuite en avant. (*)

Pendant ce temps, vivons, ici et maintenant.

(*) sans parler des milliards de deniers publics engloutis, lesquels auraient pu utilement être consacrés à ces opérations de bien public si abondamment invoquées pour justifier leur dépense.

(**) rêve, non pas onirique, mais aspiration profonde, image idéalisée associant bonheur et quête.

(***) personnages d'Alice in the wonderland

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