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site de Roland Goeller
7 octobre 2010

Le business du livre au service de la littérature ?

 

Pour attirer le public dans les salons du livre, il convient de recourir à quelques « locomotives » ou « produits d’appels ». Ainsi les organisateurs du 6ème salon du livre de poche, tenu le week-end dernier à Gradignan – ville verte de la banlieue bordelaise, avaient invité Deon Meyer et Irène Frein, notamment, parmi un panel de 80 auteurs présents sur les stands d’une douzaine de libraires. Le salon ouvrit ses portes, les faux badauds et vrais lecteurs affluèrent, moins nombreux semble-t-il que les années précédentes, peut-être parce qu’il fit exceptionnellement beau et que les plages du Médoc eurent plus d’attrait, mais le salon eut lieu, au bonheur des uns et des autres. Pouvons-nous affirmer pour autant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes du livre?

Je m’en veux un peu d’adosser ce billet au salon de Gradignan, lequel est loin de démériter, cependant, faisons un bref inventaire. Chaque rentrée littéraire française met sur le marché quelques 700 livres. Tous ne marcheront pas du même pas car seule une cinquantaine sera assurée d’une vie commerciale respectable, disons de l’ordre de 50 000 ventes et plus. Les autres végéteront dans l’un des cercles – dantesques? – du purgatoire littéraire, à la recherche d’une renommée aux poches hélas remplies de poudre d’escampette. Pour quelles raisons?  Déméritent-ils en proportion de leurs ventes?

Le dernier livre de Houellebecq est assuré au bas mot de franchir la barre des 50000, avant même qu’il ne soit sorti des presses de l’imprimeur. Encore s’agit-il d’un bon livre mais d’autres, qui ne le sont pas, bénéficient d’une diffusion de même ampleur par le seul fait que les critiques en aient dit du bien (ou du mal, qu’importe) dans toutes les émissions littéraires de France et de Navarre. De l’autre côté de l’échelle (des valeurs?) peu de journalistes se risquent à commettre un billet sur un auteur inconnu et l’émergence de ce dernier suppose une conjonction d’éléments favorables qui tient du miracle. De la littérature oui, mais avant tout il faut vendre. C’est pourquoi les principaux acteurs du business du livre ont mis en place un marketing de type vaches à lait (et non de risque) consistant à flécher les courageux (et de plus en plus grisonnants) bataillons de lecteurs vers les locomotives, dont on sait qu’ils achèteront l’ouvrage ne serait-ce que pour ne pas être en reste vis-à-vis des amis qu’ils inviteront à dîner. Ce marketing est issu d’une stratégie qui repose sur trois pivots :

un vivier de locomotives, de « bons auteurs »

un système promotionnel et publicitaire parfaitement rôdé (les émissions littéraires, les critiques, les prix, les saisons, mais aussi un peu les salons),

un système de distribution adossé de moins en moins aux libraires et de plus en plus à la grande distribution (les grandes surfaces où les consommateurs mettent dans leur caddy le dernier Houellebecq – un bon livre répétons le – au même titre que les pots de yaourt et les couches culottes).

Qui sont ces acteurs? Peu importe, ils ont réussi en tous cas à mettre en place le ressort des ventes du dernier livre de untel, de une telle, reçus par ailleurs aux émissions politiques de l’hexagone.

Cependant, faire du business n’est pas un crime, au contraire, à la double condition d’étendre le domaine et de générer de la valeur ajoutée. Mais en est-il ainsi et à quoi assiste-t-on? Les choses se passent comme si, par l’effet d’une sorte de mouvement centrifuge, l’empyrée littéraire des « noms connus » se réduisit à un podium de quelques dizaines de marches, le purgatoire se rétrécisse et l’ »enfer » ne cesse d’augmenter son nombre de cercles.

Quelle littérature voulons-nous, collectivement? D’aucuns, individuellement, Rimbaud et Hugo en bouche, proclameront leur attachement à l’innovation, l’avant-garde, la dissidence voire le coup de pied dans la fourmilière. Mais, collectivement, ils n’en consentent pas moins à cette sorte de système qui fonctionne comme une essoreuse, laquelle draine des moyens financiers considérables, fléchés vers les locomotives. Le conformisme règne comme jamais. Or je connais des éditeurs qui continuent de se battre pour des collections novatrices, en prenant des risques sur de parfaits inconnus. Je connais des libraires qui certes vendent les locomotives mais n’hésitent pas à s’investir sur des coups de cœur. Je connais des auteurs qui continuent à explorer des terres vierges, loin des sentiers battus. Il serait regrettable que l’essoreuse, en les excluant progressivement du business du livre, les confinent aux marges de ce champ fascinant qu’est la littérature, transformant pour le coup celle-ci en inventaire de lieux communs. Et pas sûr qu’à ce régime, nous assistions à l’extension du domaine de la littérature et à la génération de valeur ajoutée (littéraire s’entend).

 

 

NB : Pour mémoire et en moyenne, un livre vendu 10 € rapporte 3,5 € au libraire, 2,5 € au diffuseur, 2 € à l’éditeur, 1 € à l’imprimeur et 1 € à l’auteur. Le système est cependant aux mains de ..., lesquels imposent les normes de la littérature et préemptent une part non négligeable des 6 € du libraire et du diffuseur pour les injecter dans les locomotives, censées assurer le business.

NB : Nous connaissons le commerce équitable ou ét(h)iquable, né de la volonté des producteurs de contourner les grosses machines à fric. Faut-il en passer par une littérature équitable ou étiquable ?

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