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site de Roland Goeller
10 juin 2011

Etat providence contre concombre masqué

Depuis quelques semaines sévit dans le nord de l’Allemagne une bien curieuse bactérie. A proximité de Hambourg plus précisément. On lui doit déjà une vingtaine de décès et plusieurs centaines de personnes atteintes. Les enquêtes et recherches bactériologiques conduites de toute urgence ont établi que la bactérie résiste à 8 familles d’antibiotiques, que, par conséquent, elle procède d’une série de mutations que la nature, seule, ne saurait expliquer, des mutations peut-être expérimentables laisse-t-on entendre, au cours desquelles une maladresse (criminelle ?) se serait produite ou aurait été commise.

 

Mais dans un premier temps on accusa le concombre, le concombre d’Espagne notamment, avançant, masqué. A l’origine sans doute, les autorités sanitaires allemandes, désemparées, eurent des réflexes de précaution. Lorsqu’on ne sait pas, dans le doute, on s’abstient, cela est légitime. Haro donc sur le baudet des concombres et légumes en provenance d’Espagne et du sud en général.

 

On sait aujourd’hui que cette piste était fausse mais entre temps l’affaire de la bactérie tueuse était devenue l’affaire du concombre assassin injustement accusé. Aux clichés (peu médiatiques) des façades opaques des hôpitaux austères succédèrent foison de reportages concernant des producteurs espagnols et désormais français condamnés à la destruction de leur production par suite de quarantaine.

 

Dans cette affaire, le nombre de victimes ne cesse de grossir tandis que le coupable court toujours. Cependant les libéraux producteurs et les objectifs médias retrouvent leurs accents indignés. Les producteurs réclament dédommagement. Ces mêmes producteurs cependant se réclament d’une organisation laquelle engage très libéralement des centrales d’achat, des distributeurs, des transporteurs, des détaillants, sur un marché désormais étendu au continent européen. Ce marché permet de faire des affaires. Ce marché a permis le développement des cultures maraîchères du sud débouchant sur les marchés de la consommation du nord. Pour des raisons conjoncturelles ou des raisons qui leur appartiennent, ces marchés de la consommation peuvent décider d’interrompre leurs approvisionnements, eux aussi sont dans le libéralisme. Cette interruption fait partie du genre de risques que doivent (devraient) normalement assumer les organisations de production mais ces dernières réclament dédommagement. Implicitement, à leurs yeux, les profits sont pour elles seules mais le risque doit être partagé par tous. L’esprit d’entreprise restera balbutiant aussi longtemps qu’il demandera la liberté d’entreprendre sans accepter le risque de l’échec.

 

Au cours de l’émission « ce soir ou jamais », mercredi 8 juin, la journaliste interroge Frédéric Lefebvre, secrétaire d’état à la consommation. Le concombre est alors déjà largement hors de cause, mais les consommateurs continuent de bouder les légumes et les reportages continuent de montrer des producteurs en colère acculés à la destruction de leur production, aux accents de « que fait l’état ? ». C’est du reste la question que pose la journaliste au secrétaire d’état, invité et acculé à s’expliquer, à se justifier. En face, le mordant Frédéric Lefebvre adopte un air contrit qu’on ne lui connaissait pas. Donc, après avoir pris fait et cause pour les consommateurs, supposés victimes de concombres masqués, les médias prennent à présent fait et cause pour les producteurs, victimes d’autodestructions injustifiées. Les médias, en ce pays du moins, prennent fait et cause pour les victimes, ce qui n’est pas critiquable en soi, mais elles le font en invoquant une entité supérieure dont la défaillance ou l’imprévoyance est systématiquement pointée du doigt. Cette entité n’est autre que l’état providence. Les médias instruisent tous leurs dossiers à charge de cet état providence, soupçonné d’imprévoyance, de négligence ou d’incurie. Ces mêmes médias (qui en parallèle colportent la petite chanson libérale laquelle, soit dit en passant, exclue l’état providence) ont-ils conscience d’entretenir l’opinion publique dans une infantile croyance, celle de l’existence d’une sorte de « parapluie des risques » dont la réalité démontre chaque jour les failles et le coût exorbitant (que cette même opinion publique est de moins en moins disposée à acquitter) ? J’aimerai (vœu pieux) que les médias fassent leur travail jusqu’au bout, qu’ils instruisent en même temps qu’ils informent, et qu’ils expliquent que la quarantaine imposée aux producteurs de légumes est une conséquence logique de l’organisation libérale de même ce marché. Au lieu de cela nous assistons à la mise en accusation d’un Frédéric Lefebvre, quasiment sommé de faire revenir le consommateur manu militari chez ses détaillants !    

Derrière le masque du concombre, la France retrouve tous ses vieux réflexes. Et ces quelques lignes ne constituent nullement un plaidoyer contre l’état providence, lequel ne manque pas de vertu, mais contre l’inconséquence médiatique laquelle, sous l’alibi de l’information, ne recule devant aucune contradiction. Notons encore qu’en ces temps de sécheresse et de disette, ce n’est pas tant la destruction de nourriture que l’on déplore mais la perte de chiffre d’affaires. Notons aussi, last but not least, que le concombre masqué a inexplicablement choisi de sévir à Hambourg ...,cette ville allemande où voici deux ans se sont exercés des kamikazes d’un nouveau style. 

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