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site de Roland Goeller
24 mars 2020

AU jour le jour, J+6, 23mars

Vers quel nouveau monde allons-nous ? 

zvardon alsace romantique

Je me tiens informé de ce qui se dit à charge et à décharge, cherchant, par des itérations successives, à corriger les approximations et erreurs qui se répandent et à me faire une représentation la plus juste possible. Mais il est une chose que je crois avoir compris : les coronavirus sont parmi nous désormais, ils se sont assis à la grande table du banquet et se promettent de muter sans cesse pour mieux dissimuler leur présence et nous jouer des tours. Nous avions appris à prendre en compte les épidémies de grippe hivernale, nous devrons désormais craindre, que dis-je, redouter les épidémies de coronavirus. Nous évoluerons dans un milieu plus hostile, il ne sera pas rare de croiser des personnes qui portent un masque de protection, voire une combinaison. Les gestes de bienvenues telles les poignées de main et les embrassades se feront rares. Il se produira une sorte de contraction, de frilosité générale qui cartographiera très vite des lieux clean et d’autres où cela craindra, comme disent nos cadets. Nous reviendrons aux infra-mondes que décrivaient Dickens et Victor Hugo, sous une forme d’insalubrité inédite. Dans le cours de mon activité professionnelle, j’étais en charge de questions de transport et de mobilités et, très vite, j’eus la conviction qu’il était de l’intérêt du bien public de privilégier le local au détriment du national ou de l’international. Le pays étendait son réseau TGV vers Strasbourg, Bordeaux, Nantes, etc, mais laissait dépérir les petites lignes qui permettent aux habitants des zones périphériques de se rendre dans leurs métropoles de province. « La lecture est un miracle de la communication par la solitude », disait Marcel Proust dont j’adaptais la citation en remplaçant  « solitude » par «  immobilité ». J’eus droit à des sourires condescendants, je ne m’inscrivais pas dans le main stream des univers ouverts, connectés, interconnectés, nowhere. Toute littérature non enracinée me paraissait déjà – et d’autant plus maintenant – sujette à caution. J’évoque ces questions de proximité et de territoires car la crise sanitaire qui nous touche nous invite au confinement, à remettre des limites, des frontières qui certes contrarient la libre circulation des biens et des hommes, mais aussi celles des maladies et des virus. A redéfinir des territoires autonomes, circonscrits à l’intérieur desquels il n’est pas nécessaire d’attendre qu’une lointaine Chine produise les outils et médicaments dont on a besoin. Ces limites et frontières ne restreignent en aucune façon notre curiosité intellectuelle et artistique et, si d’aucuns d’entre nous ne pourrons plus voyager dans le vaste monde à grand renfort de CO2 et de promotions-pension-complète, au moins pourrons-nous réinvestir nos territoires délaissés. Emmanuel Kant naquit, vécut et mourut à Königsberg – aujourd’hui Kaliningrad, sans jamais s’en être éloigné. Cela ne l’a pas empêché de faire progresser le génie mathématique et la réflexion philosophique et de découvrir l’un des satellites de Jupiter. Georges Brassens, grand poète, a eu la curieuse idée de se moquer des imbéciles nés quelque part. Si aimer le pays qui nous a vu naître et en faire le centre du monde relève de l’imbécilité, alors je revendique celle-ci (en ce qui me concerne, ce pays se nomme Rhénanie Supérieure, ce n’est pas un pays au sens où on l’attend habituellement, mais c’est mon pays). Les mobilités constituaient l’objet de ma première vie active, la littérature en constitue la seconde, et la crise sanitaire qui nous touche n’est pas sans effet sur cette dernière. Il nous appartient désormais de repenser la littérature, ses thèmes, sa diffusion, sa lisibilité, son accessibilité (au sens de se mettre à portée), son éclipse par d’autres champs qui ne sont pas ce qu’ils prétendent (faut-il les nommer ?). Homère était un rhapsode, son chant a traversé les siècles, que dis-je, les millénaires. Ismaïl Kadaré et Ivo Andric évoquent les conteurs qui, il n’y a pas si longtemps encore, parcouraient un territoire, de village en village, enrichissant chaque soir le poème qu’ils déclamaient devant une foule muette. Nous devrons nous laver les mains désormais, très souvent. Nous aurons aussi à nettoyer la littérature de tout ce qui l’encombre. Il conviendra sans doute que les best-sellers soient à nouveau issus et nourris par une littérature,populaire, narrative, contée et conteuse, à réinventer. L’autofiction a certes produit ses lettres de noblesse mais elle a permis aussi de nombreuses proses qui relèvent de la plaidoirie de prétoire ou du cours de la justice. Trop de prétendus écrivains ne font que régler des comptes à longueur de pages. La littérature continue de produire des pépites mais elles se perdent dans les boues du bavardage. Dans le monde qui nous attend, lorsque nous oserons à nouveau nous approcher les uns des autres et nous étreindre, l’hybris et la dilapidation devront le céder à la sobriété et au retrait. Et les longues soirées que la télévision a peuplé de chimères seront peu à peu restituées au silence propice aux paroles vraies  

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