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site de Roland Goeller
6 octobre 2020

La foi dans le progrès

 

hokusai grande-vague

La foi en un progrès infini et ininterrompu existe donc et on ne compte plus ses défenseurs (cf François Lenglet, économiste, dans son dernier livre). Ainsi, de technologies nouvelles en innovations, le progrès avancerait inexorablement et conduirait l’humanité vers un futur (radieux ?) où le travail de l’homme ne cesserait de décroitre, offrant à chacun d’autant plus de capital-loisirs. Resterait à trouver le bon algorithme pour le partage des richesses (produites par les quelques happy fews, aux formations spécialisées, capables d’organiser le monde des machines) afin que les indigents, inactifs, aient de quoi vivre, et que les producteurs n’aient pas le sentiment de porter à eux seuls le poids du monde ! S’il est vrai qu’après la 4G, on peut imaginer les bienfaits de la 5G, et après cette dernière, ceux de la 6G, l’intuition, pour peu qu’on lui prête oreille (à moins que ce ne soit au sens commun ou à la common decency) nous invite à la plus grande prudence, dussions-nous affronter l’anathème de réactionnaire passéiste que ne manqueront pas de lancer les progressistes à l’adresse de tous ceux qui trainent les pieds. Ce que ces derniers ne voient pas, ou feignent de ne pas voir, c’est que la réalité humaine (ou le coeur de l’expérience humaine) repose pour beaucoup sur le travail, et que la raréfaction de ce dernier risque de priver les hommes (livrés à l’oisiveté) de colonne vertébrale et donc d’opportunisme, de kairos, face aux aléas majeurs, aux catastrophes qui ne manquent jamais de se produire. Il y a dans le travail une noblesse et une invitation à l’humilité sans laquelle les hommes restent sur un sentiment (illusoire) de toute puissance (que les événements ordinaires ne démentent pas). C’est par le travail que les destins s’accomplissent en donnant corps aux desseins que fomente l’esprit et en les confrontant aux duretés de la matière. Sans la perception directe qu’à la main de l’outil, l’œil de la vitesse des nuages, et l’odorat du changement des saisons, il n’est pas de leviers pour le destin. Sans avoir usé ses mains avec l’acidité de la terre, la rugosité du granit, le tranchant des échardes, la résistance des mots…, l’intuition reste lettre morte. Sans intuition, impossible de décider quand semer, quand moissonner, quand rentrer les troupeaux, quand retirer le verre de la flamme, quand vient le terme de l’enfant à naître, quand ponctuer la phrase… La raréfaction du travail humain, du labeur voire de la besogne (comme de calamités qu’il s’agirait de faire disparaître) suppose, en compensation, la montée en puissance de celui des machines, leur interconnexion, leur pilotage et leur prévisibilité, mais les événements graves surviennent dans les trous de la raquette (selon la formule en vigueur), ce qui est une autre façon de dire que le diable est dans les détails. Et pour anticiper les mauvais tours que ce dernier nous prépare, il importe de ne pas baisser la garde, de surveiller le feu afin qu’il ne s’étende et le lait afin qu’il ne déborde, et cela suppose que chacun ait sa part de travail à accomplir, en quantité, détails, répétition et persévérance. Mais le diable n’existe pas aux yeux des adorateurs du progrès et, lorsque survient une catastrophe comme celles de Fukushima ou de Sumatra, ils inscrivent les victimes au compte des pertes et profits et (plutôt que de faire profil bas et d’engager une réflexion pour permettre à chacun de retrouver de l’autonomie) se perdent en palabres et conjectures pour définir ce qu’ils ont omis de prévoir… 

Le progrès a toujours une guerre de retard. 

illustration : La vague de Hokusai. 

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Commentaires
B
Merci Roland de souligner combien il est indispensable pour chacun d’avoir un travail qui nous fait vivre et surtout exister. Il ne peut d’ailleurs y avoir de loisirs qu’en regard du travail ; le chômeur n’en a pas. Il erre en marge de la société. Quant aux retraités, c’est à eux de faire leur choix, s’ils en ont la possibilité.
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