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site de Roland Goeller
19 mars 2023

Quadrature de l'endettement et du désenchantement

 

 

manifs retraites

« … on cherche des consommateurs supplémentaires et non des travailleurs. Il y a une distorsion majeure du système économique, comme le montrent parmi d’autres les chiffres catastrophiques des échanges extérieurs, mais cette distorsion est assumée par nos dirigeants politiques et économiques. Que l’on consomme comme travailleur, chômeur, retraité ou rien du tout, est l’essentiel, afin de faire tourner le système de distribution… solvabilisé par l’endettement. Tout le reste est du baratin », déclare Pierre Vermeren dans une interview croisée avec Jérôme Fourquet, parue dans les colonnes du Figaro le 10 mars et à laquelle je ne retirerai pas une virgule. Depuis que le pays s’est enfoncé dans le mécanisme de l’endettement, c’est-à-dire au début des années Mitterrand, je n’ai cessé d’en observer la progression, fasciné par son caractère en apparence irréversible, fasciné par l’incapacité des partis politiques de tous bords à en inverser durablement la tendance, et, n’ai-je cessé de me dire, le mal vient de plus loin ! 

D’où vient-il ? D’où vient ce fait étrange qu’un pays qui regorge de ressources et de talents, de paysages et d’histoire, un pays béni des dieux en quelque sorte – Leben wie Gott in Frankreich, comme disent les Allemands ! – ne trouve plus la clé de son redressement et s’enfonce dans les spirales jumelles de la dette et du désenchantement ? La dette a commencé à croitre à partir des années 80, peu après l’accession de Mitterrand au pouvoir. Les promesses étaient débonnaires. Quand on aime, on ne compte pas ! Un fol espoir s’est levé mais, très vite, le réel a repris le dessus. Le soufflé est retombé mais le désenchantement que l’on trompe avec des chimères grandit d’autant. Ce qu’on a voulu prendre pour des tropismes n’était que des mécanismes entropiques. Dans le désenchantement surgissaient des démons plus anciens, des lassitudes plus vieilles. 

Les années gaulliennes n’auront été qu’une parenthèse de quelques décennies, de même que la grande chevauchée d’Alexandre fut une sorte de chant du cygne grec entre les guerres médiques et la conquête romaine. Le Mitterrand flamboyant, vainqueur en 1981, était un homme de la IIIe république, auteur du Coup d’état permanent dans lequel il accusait, non sans arguments, le Général de la confiscation du pouvoir. Et, certes, il y a dans le Référendum de 1958 quelque chose de l’esprit du 18 brumaire, mais il y avait aussi une dynamique salutaire dont les retombées sont perceptibles aujourd’hui encore.

Pour quelles raisons cette dynamique s’est-elle interrompue ? Après l’éviction du grand homme, n’avait-elle pas hâte de s’interrompre, lourde de la pesanteur des siècles ? Il faut avoir à l’esprit les deux grands cataclysmes européens du XXe siècle. La France déclare la guerre le 3 septembre 1939 mais les hostilités ne commencent qu’en mai de l’année suivante et l’armée française, forte de plusieurs millions de soldats retranchés derrière une illusoire ligne Maginot, subit une Débâcle retentissante. Pour beaucoup, c’en était fait de la France ! Le récit historique a voulu en oublier l’humiliation en célébrant la Libération, laquelle procède avant tout de l’effort de guerre des anglo-américains, même si le Général a eu le génie de sauver l’intégrité du pays. Il y eut des actes héroïques dans les rangs français, n’en doutons pas, mais les trois héros burlesques de la 3ème compagnie semblent donner une plus juste image de la détermination des armées françaises à l’emporter. N’oublions pas non plus que l’état-major, conscient des faiblesses de l’armée, aspirait à l’armistice au plus tôt. Le désenchantement, dont nous déplorons les manifestations actuelles, était-il déjà à l’œuvre en 39 et 40 ? De Gaulle n’a-t-il pas été ce héros solitaire, condamné à mort par contumace, qu’un très petit nombre seulement aura rejoint à Londres ? « Au plus fort de l’action, nous fûmes trois-cents milles ! », écrit-il dans les Mémoires de Guerre. 

N’oublions pas non plus que le pays était épuisé par les deux guerres précédentes. Celle de 1870, meurtrière, la première défaite française dans un affrontement continental contre un seul adversaire. Celle de 1914, héroïque et victorieuse mais à quel prix ? Ils furent plusieurs millions « à consommer avant l’hiver », dont les descendants manquent aujourd’hui à l’appel et, s’il faut croire que l’octroi mitterrandien de la retraite à 60 ans s’est inscrit dans la mémoire collective, le prix du sang de 1870 et de 1914 s’y est inscrit en sillons plus profonds et plus durables. En dépit du panache versaillais, la Grande Guerre a saigné le pays comme jamais, le traumatisme en est perceptible aujourd’hui encore et pour se représenter cette hémorragie, que l’on s’imagine la croissance d’un arbre amputé d’un nombre conséquent de ses racines.  

L’auscultation de la mémoire collective cependant n’est pas une science exacte et je suppose qu’il ne manque pas d’historiens pour en faire une interprétation différente. Je ne débattrai pas. J’avance une hypothèse qui me semble expliquer cette grande fatigue lorsqu’il s’est agi, en 1940, d’affronter une troisième fois l’armée allemande, et, en 1981, lorsque Mitterrand convainquit le pays qu’on pouvait y arriver en relâchant les efforts que le Général avait, pendant quelques brèves décennies, réussi à stimuler. 

Il faudrait tirer les fils un peu plus loin, remonter aux rêves thermidorien, marxiste, proudhonien, remonter à la Révolution, à la calamiteuse guerre de Sept ans perdue avec pertes et fracs, aux guerres américaines dispendieuses soutenues par Louis XVI, au traité de Westphalie qui a installé la France en une position hégémonique impossible à tenir sur la durée, à la rivalité de François Ier et Charles-Quint, aux ambitions excessives… Nul n’ignore que les événements d’aujourd’hui sont, de façon non pas fatale mais induite, le prolongement des événements traumatiques du passé. Si Mitterrand a cédé aux sirènes (réduction du temps de travail, retraite à soixante ans…), c’est que, épuisé, le pays attendait cette parole et, l’attendant, s’est tourné vers les forces politiques susceptibles de l’entretenir dans cette perspective. J’en veux pour preuve supplémentaire les propos récents de la députée LFI Mathilde Panot, en conclusion d’un débat télévisé sur les retraites : « Je veux vous parler de bonheur…, de droit au temps libre… »

Le droit au temps libre, avec de moins en moins d’actifs au travail, se nourrit de la spirale progressive de l’endettement qui, comme le disent justement P. Vermeren et J Fourquet, alimente le pouvoir d’achat nécessaire à la politique suicidaire de consommation. Son mécanisme s’est enclenché très naturellement. En 1981, le pays était puissant et solvable, il ne manqua pas de créanciers pour financer les politiques dispendieuses, au premier rang desquels l’Allemagne. À l’avènement de Jospin, le pli était pris. Il y eut un excédent budgétaire rebaptisé benoitement cagnotte, laquelle servit non pas à rembourser une partie de la dette, déjà conséquente, mais à engager de nouvelles dépenses sociales. Et, avec les décennies, les dépenses furent affectées de moins en moins à l’investissement et de plus en plus à la consommation, tandis que le remboursement de la dette était devenu le cadet des soucis... Désenchantement et endettement de surcroît se nourrissent l’un l’autre. Désenchanté, le peuple n’a plus de cathédrales à construire. Il aspire au bonheur individuel, aux rentes, à la récolte des fruits de son rayonnement intellectuel et artistique, aux retombées des combats qu’il a menés pour la liberté. La nation, le peuple lui sont désormais des horizons inconcevables. Il se projette dans l’humanitaire et l’environnement planétaire, quels qu’en soient les coûts. Mais l’endettement n’est pas infini. Proche est peut-être le jour de l’explosion des taux d’intérêt, de celle des créances et de l’insolvabilité.

Si le projet de réforme des retraites met le pays sens dessus-dessous, c’est qu’il cristallise toute cette perspective mais tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. Il porte en lui un message de reprise en mains qui n’est plus compris, qui, en l’état actuel des choses, ne pouvait être compris. Quelque chose devait être fait, c’est indéniable. À moyen terme, le régime des retraites accusera un déficit grandissant que, dans l’esprit de répartition, il convenait de combler. Mais, au lieu de l’âge de départ à 64 ans, il était possible aussi de revenir sur le totem des 35 heures. Pour notre malheur, les forces politiques qui portent le projet sont aussi celles qui sont parvenues au pouvoir en entretenant le pays dans ses illusions et chimères. L’immense effort de pédagogie n’a pas été fait, la parole vraie manque et la présence de forces politiques révolutionnaires voire insurrectionnelles en a dissuadé les intentions. L’amateurisme d’un gouvernement technocratique a fait le reste. Plus que jamais, « mal nommer les choses ajoute au malheur du monde », mais voudra-t-on désormais bien les nommer ? 

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