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site de Roland Goeller
29 janvier 2010

le capital de la compétence

Une fois n’est pas coutume, inaugurons cette chronique avec une dichotomie marxiste (ou marxienne) et formulons ce postulat : le processus de production (en général) repose sur un équilibre pondéré entre le capital d’une part (les détenteurs de patrimoine et des outils de production – principe passif)) et le travail d’autre part (les détenteurs d’énergie physique et intellectuelle – principe actif). Chacun doit être en mesure de « peser » sur le processus et parvenir avec l’autre à un consensus quant aux décisions à prendre et aux façons de l’orienter. A contrario, lorsque l’un des tenants se trouve en situation durable de subir la pression de l’autre, unilatéralement, l’équilibre est rompu et le processus entre alors en crise.

Notre propos n’est de remettre en cause la répartition actuelle, plus ou moins inégale, plus ou moins équitable, du capital et de l’énergie de travail entre les individus. Il est d’analyser comment fonctionne l’équilibre entre les uns et les autres et de vérifier si, dans l’organisation occidentale, les conditions de cet équilibre sont réunies.

Car nous observons dans les pratiques de management actuelles une tendance qui ne manque pas de nous interpeller et qui nous semble faire peser une menace sur l’équilibre que nous avons indiqué. Quelles sont ces pratiques ?  L'expertise  d'une part (au détriment de la polyvalence), la mobilité d’autre part  (au détriment de la stabilité et de l’appropriation).

De quoi s’agit-il ?

Nous avons eu l’occasion d’aborder la dichotomie de l’expertise et de la polyvalence. Au nom de l’économie de marché et de la transparence des coûts, les entreprises, les organisations ou les structures ont augmenté la segmentation de leurs activités. Les activités ainsi fragmentées segmentent à leur tour les champs de compétence de leurs intervenants. Ces champs gagnent en expertise ce qu’ils perdent en polyvalence. Pour accomplir une tâche, le salarié est contraint de faire appel à un nombre croissant d’intervenants et perd quelque chose qui lui est précieux : l’autonomie. De surcroît, compétent sur un petit segment, il est amené, pour des questions de masse critique d’activité, à intervenir sur de grands territoires.

En résumé, le management en vigueur induit une perte de polyvalence et d’autonomie. Il procure certes une expertise, dont cependant la mise en œuvre échappe le plus souvent à son titulaire. En revanche il augmente l’asservissement à d’autres intervenants et génère un sentiment d’impuissance diffuse, accompagné de stress intense.

Quant à la mobilité, nous l’avons présentée comme conséquence de la segmentation et de l’expertise : les salariés, en perte de polyvalence, sont contraints de se déplacer sur des territoires plus grands (ce qui entre parenthèses ne milite pas en faveur de l’économie des besoins de transport). Cependant il est une autre mobilité dont nous souhaitons parler, à savoir celle des compétences, laquelle intervient de deux manières : turn-over accéléré des salariés d’une part, mise en qualité des savoir-faire d’autre part.

Le management, ou coaching d’entreprise, adopte une dynamique du changement permanent. Une organisation est à peine mise en place et déjà se profile la suivante, à un rythme élevé, en tous cas, supérieur à celui qui permet de stabiliser les choses. Ces modifications d’organisation sont souvent majeures, elles concernent les segmentations d’activités, les territoires, les lignes managériales, voire les métiers. Changer d’organisation revient à rebattre les cartes, jouer à une sorte de jeu des chaises musicales : tout le monde se lève et change de place. Parfois la place retrouvée correspond aux anciennes compétences. Parfois non. Il faut alors réapprendre !

Qu’à cela ne tienne, s’exclame le management : les savoir faire sont numérisés (mis en qualité). S’ensuivent des formations accélérées qui prétendent enseigner en trois mois là où il faut trois ans pour acquérir la maîtrise. Les salariés qui ont été confrontés à cette expérience savent cela. Pendant toute la phase de changement, ils sont fragilisés, manquant de recul et d’assurance.

Fragilisés, incertains dans leurs compétences en cours d’acquisition, ils ne sont plus en mesure de « peser » sur l’équation capital-travail. Ils ne participent plus à la « concertation » censée accompagner le changement. Les décisions et les orientations leur échappent. D’ »autres » tirent les ficelles, peu au fait des singularités des compétences mais parfaitement informés des résultats attendus. D’animateurs d’équipes et de projets, les managers new look deviennent des gestionnaires de ressources et de compétences, sans états d’âme, non pas par volonté ou cynisme, mais par incapacité d’âme, par l’impossibilité dans laquelle sont ces managers de comprendre comment fonctionne une compétence. Un chef d’orchestre digne de ce nom vit au rythme de son orchestre et de ses musiciens, il sait très exactement ce qu’il est en droit d’attendre et de demander à ses sections de cuivre ou à ses archets. Il s’établit entre les uns et l’autre une sorte de contrat social tacite qui permet la bonne mesure et évite les fausses notes.

En comparaison, le manager new look demande à ses cuivres d’un jour d’être les archets du lendemain. Il estime que des partitions et des instruments en bon état suffisent, le reste étantaffaire de bonne volonté. Et si celle-ci ne suffit pas, il agite la menace de remplacer le récalcitrant par un chômeur qui attend son tour. De surcroît, le manager new look ne sait pas lire les partitions …

Comme nous voyons, les méthodes du management moderne (par le stress, par la mise sous tension, par la terreur, par la mise en compétition) induisent une banalisation et une dépossession des compétences des individus. Outre les dommages subis par les individus eux-mêmes (pour leur santé physique mais aussi mentale : on songe aux cadres de Renault et France Telecom), il n’est pas certain que le déséquilibre qui en résulte dans l’équation capital-travail permette d’atteindre cette fameuse performance, promise à corps et à cris, alibi de surcroît de toute la démarche.

 

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