Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
site de Roland Goeller
13 décembre 2011

Cachez cette prostitution que je ne saurais voir !

Deux députés déposent un projet de loi visant à pénaliser les « clients » de la prostitution. Les raisons qu’ils invoquent, disent-ils,  tiennent au constat que nulle femme ne se prostitue de plein gré encore moins de gaîté de cœur, que mainte femme prostituée tombe sous le joug de réseaux ou de mafieux sans scrupules et que les « clients » des prostituées ne sont après tout que des complices de facto. 

Il est d’usage, lorsqu’on plaide une cause indéfendable ou estampillée  « politiquement incorrecte » de commencer par les arguments et de terminer par les protestations de bonne foi. En substance, les arguments sont suffisamment complexes pour que je préfère inverser l’ordre des choses. Alors d’emblée soyons clair : il ne s’agit pas dans ce billet de faire l’apologie ou de défendre la prostitution laquelle au mieux est un pis-aller, au pire un fléau. Mais est-il pour autant légitime et bénéfique de vouloir pénaliser les clients des prostitué-es?

On peut penser que dans une société idéale, ou chacun trouve sa chacune, et réciproquement, la prostitution disparaitrait d’elle-même. La réalité est hélas très différente. Non seulement chacun ne trouve pas sa chacune et, le cas, échéant, l’alliance ne résiste pas toujours au temps. Mais de surcroît, à l’autre bout de l’échelle du bonheur, des femmes de plus en plus nombreuses tombent entre des mains criminelles et mafieuses, brutales et violentes, et se trouvent ravalées au rang d’esclaves du sexe. Le sort de ces dernières est absolument révoltant et il y a dans la proposition de loi au moins une intention louable : en voulant pénaliser les « acheteurs » on nourrit l’espoir de réduire le fléau par l’asséchement de la filière. Mais on sait aussi où peuvent nous mener certaines bonnes intentions.

En pénalisant le client, fera-t-on reculer le proxénète ? Celui-ci se sait déjà dans le crime et il y a fort à parier qu’il ne réorganise la filière dans le sens d’une plus grande clandestinité. L’accès aux prostitué-es ne se fera plus sur la place publique, au vu et au su de tous, mais dans une pénombre plus ou moins pacifique. Les honnêtes citoyens auront certes moins de raisons de s’indigner au spectacle du racolage  mais pourront-ils affirmer que le monde du proxénétisme violent recule ? Ils ne le verront plus ! Cachez cette prostitution que je ne saurai voir !  

A bien prendre les choses n’est-il pas préférable que la prostitution se passe en plein jour ? La violence est moins forte lorsqu’elle est « vue » et les mères de famille indignées par le déplorable spectacle offert à leur progéniture trouveront peut-être les mots qu’il faut pour en parler. La prostitution est vieille comme le monde, les mères ont toujours su que, pour préserver les enfants, il vaut mieux montrer et expliquer que de cacher. Car n’oublions pas : les prostitué-es sont des êtres « intouchables », les « acheteurs » de pauvres diables en manque, mais les proxénètes qui tirent les ficelles, eux, sont de vrais criminels.

La proposition de loi entend endiguer un phénomène dont tous s’accordent pour dire qu’il s’agit d’un fléau. Mais ne risque-t-elle pas de se limiter au seul fléau visible ? Car il y a une prostitution de luxe très soft. Conclure une affaire en offrant au partenaire une call-girl entre-t-il dans le champ de la proposition de loi ? Non, protesteront tous les protagonistes du marché ! Le client n’est que récipiendaire d’une prestation, l’acheteur en est le bailleur de fond et la call-girl, l’employée d’une agence voire une auto-entrepreneuse qui fournit une « prestation d’accompagnement ». Le pauvre type qui fait des appels de phares sur le boulevard entre dans la catégorie des criminels, mais un homme d’affaires qui s’envoie une poule de luxe se contente de réaliser une étape du processus du business ! Que penser d’une loi qui prendrait les petits poissons et laisserait filer les gros ?

J’en arrive au point difficile de ma plaidoirie : le cas du « salaud qui va tirer un coup avec une pute ». Car c’est bien ainsi que dans les commentaires et verbatim on désigne le client, l’acheteur. J’écarte d’emblée les hommes violents (non que je les absolve mais pour eux existe déjà un corpus de loi). L’individu lambda est-il pour autant le criminel pervers que la proposition de loi suggère ? Que ce soit un pauvre type, oui, j’y consens. Un type dans un mauvais mariage, voire pas de mariage du tout. Un type peut-être dans un bon mariage qui connait une mauvaise passe. Un type peut-être seul, parce que « vu sa dégaine qui en voudrait ? » Un pauvre type ou un type ordinaire qui a envie d’un quart d’heure de rêve dont il sait d’avance qu’il est faisandé. Un type qui ne va pas discuter le prix, qui ne va pas lever la main (et encore une fois celui qui lèverait la main tombe sous le coup du corpus de loi destiné au violents), qui va faire ce qu’on lui dit, mettre son préservatif et dire merci à la dame ! Alors, certes, la fille en face fait peut-être partie d’un réseau de proxénètes et le pauvre type, en lui payant son quart d’heure (dont la fille n’aura qu’un faible pourcentage) le type en question entretient de facto le business. Pas de sa faute mais pas de chance, c’est son fric fait tourner la machine. Il est dans la situation de quelqu’un à qui on confie une somme d’argent dont il ne sait pas qu’elle fait de lui un receleur.  

Bien sûr s’il n’y avait pas cette foutue sexualité qui fonctionne tout le temps ! Peut-être les choses s’arrangeraient-elles avec de la castration chimique ou des anxiolytiques ou des antidépresseurs ou encore le business de la pornographie …, mais là aussi le pauvre type est surveillé : si seulement cette foutue sexualité pouvait-être « activée » pour la reproduction et « mise en sommeil » le reste du temps ! Ne serions-nous pas alors dans le « meilleur des mondes » ? En attendant, les rues, la nuit, grouillent de types qui « ont les boules » et à tout bien prendre les choses, je ne sais pas si les parents qui ont des filles en âge ne préfèreraient pas que ces pauvres types aillent « tirer leur coup avec une pute ».

A ce stade de la plaidoirie j’entends des voix s’élever m’accusant de prôner une société de tolérance. A celles-ci, s’il m’est encore permis de m’exprimer, je dirai qu’on ne prône pas une société de tolérance. « Prôner ou instituer une société de tolérance » relève de l’oxymore : la loi ne définit que des limites. Elle constitue la lettre. Elle ne peut légiférer les accommodements. L’esprit quant à lui consiste à distinguer les cas où la loi n’est pas pertinente. La tolérance est toujours le défaut de la cuirasse de la loi. Pourtant elle est nécessaire car tout ne peut être légiféré. Ainsi, de même qu’on ne peut pas décréter l’honnêteté, on ne peut-on légiférer les maisons closes. Par définition, une « maison close » n’a pas pignon sur rue, son existence n’est pas connue de la loi. Elle fait partie des accommodements sans lesquels le « système » serait dépourvu de souplesse et romprait, tel le chêne là où le roseau sait plier.  

Aussi, mesdames et messieurs les députés, légitimement indignés par le sort peu enviable des prostitué-es, songez à poursuivre les vrais criminels, mais laissez les pauvres types oublier leur disgrâce en « retrouvant des filles perdues »   

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Je suis tout à fait d'accord avec votre description du problème et votre critique de cette pruderie militante. Comme vous le dites bien, les "clients" ne sont pas des délinquants, mais, souvent, des laissés pour compte de la vie affective.<br /> J'ai traité ce problème il y a quelques jours sur mon blog (sceptique.canalblog.com)
Répondre
site de Roland Goeller
Publicité
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 232 515
Archives
Publicité