I.A. et littérature

Cher Jean-Louis Kuffer (en réponse à son billet sur Fb le 13 avril 2023), merci pour ces réflexions que je fais miennes sans réserves. Je voudrais cependant vous livrer les craintes que m'inspire l'IA, non pas par elle seule, mais placée dans un contexte dont il est important de rappeler les autres composantes. La littérature, celle que nous aimons, et il en va de même des autres formes artistiques, est située très au-dessus de la ligne de flottaison de l'IA qui, au mieux, saura imiter, reproduire, dupliquer, fractaliser, mais sans l'intuition des incongruités. Cependant, pour continuer à fréquenter les salons du livre, je constate à mon grand regret la raréfaction des lecteurs et l'absence de relève digne de ce nom. Il continuera d'exister des Proust et des Céline mais se trouvera-t-il encore des lecteurs pour entrer dans leurs univers? Pour en avoir la patience, la disponibilité et l'esprit de rumination? La marche du monde à mon sens se caractérise par le double mouvement de globalisation et d'interdépendance croissante. Il faut à ses acteurs une mobilité d'esprit sans cesse accrue, sauter du coq à l'âne, entrer dans la pulsation et la fébrilité. Une décision suppose la compilation préalable d'un grand nombre de données desquelles tirer une tendance. L'IA est parfaite pour cela. De par son tropisme, elle induira une harmonisation des visions et des approches, un PGCD comme on disait en mathématiques, lequel, lorsque les données sont nombreuses, est toujours situé au raz des pâquerettes. Le lien avec la littérature apparait dès lors en creux. La pulsation peu à peu remplace, j'allais dire "comble", les espaces de silence nécessaires à la littérature, et l'esprit soumis aux hautes fréquences aura besoin de réponses rapides, de synthèses courtes (et partagées), de fictions stéréotypées, même si le prix en est une certaine presbytie, une absence de vision. L'IA n'arrivera pas à la cheville de la littérature mais lui substituera des productions crypto-littéraires parfaitement adaptées à ceux qui prétendent que la terre est plate et que la gravité n'existait pas avant que Newton ne l'ait inventée. Elle est la soeur cadette de Netflix et des RS. Mais la littérature, celle que nous aimons, n'a rien à craindre sauf d'être lue avec parcimonie, et peut-être de se voir condamnée à une forme de samizdat. Il se présente un désert à traverser. Mais, après tout, la littérature grecque et romaine a bien réussi à traverser le Moyen-âge. Pendant les temps troubles, les érudits se retirent dans l'érémitisme, tel St-Florent dans la forêt de Haslach.

Vasarely, images vectorielles