Laura Kasischke, Les revenants, roman

Laura Kasischke, The raising, Les revenants, 2011

Plusieurs étudiants du campus de Godwin Honors déclarent avoir rencontré la très belle et très blonde

Nicole Werner. D’aucuns prétendent même avoir couché avec elle. La rumeur se met à circuler sur le campus, à mots couverts et glaçants car enfin, Nicole est morte dans un accident de voiture. Son petit ami Craig était au volant quand subitement il y eut une sortie de route. C’est ce que déclare Shelly qui se trouve être le seul témoin de l’accident. Shelly s’arrête pour porter assistance, selon elle les deux passagers de la voiture accidentée ont été éjectés, ils sont commotionnés mais bien vivants. Pourtant les quotidiens du lendemain déclarent que Nicole est morte, carbonisée, tandis que Craig a été retrouvé, errant et amnésique, et toutes les protestations de Shelly resteront lettre morte. Qui affabule ? Nicole serait-elle revenue ? Perry, le coloc de Craig, à du mal à le croire et, faute d’éléments plus tangibles, se tourne vers l’universitaire Mira Polson, auteure d’une thèse, Pratiques funéraires traditionnelles et leurs origines populaires. Mira a enquêté dans l’ex-Yougoslavie et rapporté de nombreux témoignages de rites avec lesquels les habitants tiennent à distance les morts qui reviennent. Le cas de Nicole l’intrigue et dès lors s’amorce une enquête qui finira par croiser la route de… Shelly. Mais auparavant L. Kasischke revient longuement sur cette époque d’avant l’accident, quand Craig, amoureux fou de la prude Nicole qui entend préserver sa virginité jusqu’au mariage, se met à fouiner autour d’Omega-Theta-Tau, coterie de sororité que les jeunes filles intègrent au cours de rites d’initiation aussi inquiétants que secrets. Quelque chose aurait-il dérapé au cours de l’une de ces soirées ? Un élément connexe va prendre de l’importance, à savoir la disparition inexpliquée d’une autre jeune femme proche de la sororité, Denise.  L.K. convoque une galerie de personnages qui tous possèdent une partie de la vérité, laquelle se recompose lentement, par opiniâtreté, et malgré les agissements cyniques des membres de la sororité pour préserver leurs secrets. Tout cela, bien sûr, ne serait pas possible sans une nébuleuse de complicités, tant au sein des instances du campus que de la police ou de la presse. C’est tout un système d’influençage et de coterie dont L.K. fait le procès et l’art de la romancière consiste à distiller les éléments à charge avec assez d’habileté pour laisser penser au lecteur, du moins dans les premières parties du roman, que Nicole est revenue. L’imposture est partout et les prudes jeunes filles n’en ont que l’apparence, certains personnages paient le prix fort de le découvrir. L’american way of life fait grise mine sous ses dorures. Il fallait bien un pavé tel The raising pour provoquer des remous dans cet océan de petites lâchetés et le courage d’une romancière de talent pour mettre à nu les impostures féministes militantes.

« Omega thêta tau, fit d’une voix pâteuse Lucas, le conseiller résident, en désignant du menton la maison qui se trouvait sur les hauteurs… rien que des pucelles !

—Non, fit Craig en appliquant une tape sur l’épaule de Lucas. Je ne te crois pasp.

—Si. Et qui plus est, les plus belles salopes de tout le campus. »

Qu’est-ce qui peut motiver des jeunes filles (à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession) à se liguer en confrérie de sororité et en faire baver à leurs compagnons ? L.K. nous laisse avec cette question qui n’a rien d’anecdotique. Le roman a été écrit il y a une quinzaine d’année, il constitue dès lors un jalon dans un processus dont chacun pourra mesurer les évolutions et les dérives. Il faut lire The raising avant que les belles âmes ne le mettent à l’index pour stigmatisation de sororité !