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site de Roland Goeller
30 décembre 2011

Deux ou trois petites choses à propos du blasphème

La révolte est une ascèse, quoiqu’aveugle. Si le révolté blasphème, c’est dans l’espoir d’un nouveau Dieu. (Albert Camus ; L’homme révolté)

On n’a pas le droit de blasphémer quand on ne croit à rien. (Alfred Capus)

Ô vivants, la pensée est la pourpre de l’âme, le blasphème en est le haillon. (Contemplations, VI, au bord de l’infini, 17, Dolor ; Victor Hugo)

 

S’il faut en croire le Larousse ou Wikipédia le blasphème est un « discours jugé irrévérencieux à l’égard de ce qui est vénéré par les religions ou de ce qui est considéré comme sacré ».

Je ne sais pas s’il faut s’en féliciter mais l’actualité « artistique » française, récente, nous a fourni quelques événements donnant matière à débat théologique. Je veux parler de ces deux pièces de théâtre, la première, signée Castelucci et intitulée «sur le concept du visage du fils de Dieu », la seconde, signée Garcia et intitulée « Golgotha Picnic ». L’une et l’autre en usent de manière un peu « irrévérencieuse » avec les symboles chrétiens. L’une et l’autre ont soulevé des protestations souvent vives parfois agressives, de la part de catholiques présentés par la presse comme « intégristes ». L’une et l’autre ont fait se pâmer quelques directeurs de théâtre subventionnés et empressés d’en présenter l’affiche. L’une et l’autre ont soulevé dans la presse des commentaires qui en appelaient, tantôt à la christianophobie, tantôt à la tolérance républicaine et laïque. Les deux lignes de commentaires évoquèrent du reste le mot « blasphème » soit que celui-ci soit estimé avoir été commis, soit, au contraire, que celui-ci ait été salué comme signe de bonne santé républicaine (cf : Causeur intitule son numéro de décembre : « catholiques, juifs et musulmans, osez le blasphème »).

Pour que le tableau des faits soit complet, il convient de mentionner « l’irrévérencieux » numéro de Charly Hebdo intitulé « Charia Hebdo » lequel semble avoir déclenché le plastiquage non revendiqué du siège du magazine.

blaspheme

Les événements qui divisent et opposent sont en général ceux qui touchent au sacré et il convient à ce stade de mettre les choses en perspective. Car le sacré est aussi la chose la plus difficile à définir et peut-être la moins partagée qui soit. Le sacré touche au divin, mais de façon intime, indicible et terrible. La fonction de la religion est précisément « d’habiller » le sacré, de lui mettre des mots dessus, des formes, des rites et des rituels, des prières, des imprécations, des sacrements … (rappelons-nous le mot de Benjamin Constant : «les formes nous préservent de la barbarie» ; d’une certaine manière le «sacré» sans la religion a quelque chose de « barbare »).

En ce sens, déployer sur scène des excréments (même factices) devant le visage du Christ (ou ce que les chrétiens reconnaissent comme étant un «visage du Christ») ou laisser tremper le crucifix dans de l’urine, cela vraisemblablement constitue aux yeux des chrétiens quelque chose comme une offense, une irrévérence, peut-être un blasphème, et je n’ai pas besoin d’aller voir les pièces (je n’en ai pas l’intention du reste) ni me dire que je passe peut-être à côté d’un chef-d’œuvre (laïc mais blasphématoire) pour m’autoriser un début de jugement. La plupart des chrétiens passeront outre avec une moue de mépris, habitués à un anticléricalisme christianophobe de bon aloi. Ceux-là font encore preuve, sans doute, de cet esprit de tolérance que de prétendus héritiers des Lumières invoquent généreusement pour se payer une bonne tranche de rigolade (ou d’émotion esthétique moderniste) aux frais des cathos et que, à l’inverse, récusent tout bonnement les musulmans lorsqu’on s’en prend au Prophète ou à ses représentations. Une tolérance dont ne se sentent plus capables ces intégristes cathos qu’une presse complaisante (et avide de BA quotidienne de laïcité anticléricale) se dépêche de vilipender et de ringardiser.  

La laïcité est un concept difficile et, me semble-t-il, contingent. Contingent en que la persistance du sacré ne cesse d’inventer de nouvelles «formes religieuses» et que la présence de ces dernières dans l’espace public présente des problématiques sans cesse renouvelées. Nous est-il possible aujourd’hui encore de nous en tenir strictement à la loi, à son esprit de laïcité et à la non-pénalisation du blasphème ? Bien sûr ceux d’entre nous qui gardent en mémoire le procès du Chevalier de la Barre feront tout pour qu’il continue d’en aller ainsi. Cependant il nous faut aujourd’hui prendre acte d’un certain infléchissement. L’idéal de laïcité ne fait plus consensus. Il convient peut-être de faire de la tolérance un usage non pas plus restrictif mais plus respectueux. Peu après mai 68, il était de bon ton d’envoyer paître les curés, mais ceux d’entre nous qui ont gardé de mauvais souvenirs parce que, servants de messe, ils ont récolté des chiquenaudes pour avoir fait les pitres pendant les offices, ceux-là seraient bien avisés de remiser leur rancune et de se dire qu’aujourd’hui, il y a des images et des signes religieux que la liberté d’expression permet d’écorner, mais qu’une élémentaire déférence (peut-être la common decency d’Orwell) commande de respecter. Il y a longtemps que l’on a cessé d’exécuter des chevaliers de la Barre en ce « bon royaume de France ». Aussi, quoique lecteur attentif de Causeur, je ne peux le suivre dans son «appel au blasphème», même si je reconnais volontiers qu’il existe un «art du blasphème», aussi nécessaire que le rituel, que cependant on ne saurait pratiquer sans initiation. 

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Commentaires
S
Appeler des croyants à blasphémer, c'est ridicule et intrusif. <br /> <br /> La sacralisation est le fait des hommes. Respecter ce qui est sacré pour d'autres, c'est respecter ces autres, et non adhérer à leur sacré.<br /> <br /> Il était sans risque d'agresser le christianisme, qui a toujours accepté le martyr sous une forme ou sous une autre. Il est manifeste que le même traitement à l'égard des musulmans ne l'est pas du tout. <br /> <br /> Le respect des musulmans imposé par la peur doit conduire à faire de même pour les chrétiens, par respect de soi-même.
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